"Il faut que la peinture serve à autre chose qu'à la peinture", Henri Matisse.
Alain Zenthner

1er mars 2025


À propos d'Amor fati

Un concept parmi les plus importants de la philosophie, car il peut changer la manière d’envisager l’existence, la rendre plus salutaire.

L’Amor fati, l’amour de la destinée ou le fait d’accepter son destin, une locution latine introduite par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche au 19ème siècle dans Le Gai savoir (1882), pour dire que si on admet que tout ce qui arrive est déterminé, il est plus profitable d’aimer ce qui se produit au point de le souhaiter encore et encore – jusqu’au concept de l’éternel retour (selon Nietzsche)...

Une bonne compréhension de l’Amor fati nécessite une définition précise des termes tels que destin, fatalité et finalisme.

Le destin se définit comme une suite d’événements déterminés par une force inéluctable qui contribue à accomplir ce à quoi un individu est prédestiné mais sans objectif probant fixé à l’avance. Il est une trajectoire de vie pré-ordonnée qui peut être positive ou négative. Certains pensent que le libre arbitre peut ne pas en être exclu. L’individu garderait encore une certaine liberté d'action sous une certaine condition : celle d’être en mesure de connaître sa nature et de pouvoir la satisfaire.

La fatalité se définit comme la croyance que tous les événements sont prédéterminés et inévitables. Selon cette doctrine, les êtres humains n'ont pas de véritable contrôle sur le cours des événements, car tout est écrit d'avance par une force supérieure ne laissant aucune possibilité de libre arbitre, ce qui peut entraîner une attitude de résignation.

Le finalisme, quant à lui, est une doctrine qui soutient que tous les événements et les actions ont une fin ou un but déterminé, ce qui veut dire qu’il y aurait une intention ou une raison derrière chaque événement, perspective souvent associée à une vision téléologique du monde.

On remarque que le terme « destin » est souvent compris de manière équivoque puisque beaucoup entendent en lui que tout ce qui arrive est fixé d’avance de manière inévitable par une puissance surhumaine, souvent dénommée Dieu... Or, il est seulement raisonnable de penser que notre destin est fixé par notre caractère inné (hérité) confronté à son environnement et non pas par un Dieu ou une puissance supérieure qui l’aurait fixé d’avance jusqu’à la fin.

Notre existence ne saurait être fixée d’avance puisqu’elle en croise d’autres sans cesse dans des circonstances hasardeuses. Le résultat de cette confrontation dépend de notre nature non interchangeable et de ce qu’elle nous aura permis d’apprendre et d’engranger.

Le destin n’équivaut donc pas à la fatalité ni au finalisme qui prétend que toute chose à une cause finale. Ce principe inciterait en effet à s’abandonner aux événements, « à l’à quoi bon », puisqu’ils seraient programmés et fixés d’avance pouvant dès lors entraîner une attitude désabusée sinon suicidaire, équivalente au nihilisme. Le destin n’étant pas fixé, il évoluera librement en fonction de la manière dont l’individu abordera les événements suivant ce que ses dispositions innées lui auront permis d’assimiler.

Ce déterminisme étant agréé, il incombe à l’homme de faire des efforts, des sacrifices, des choix judicieux fermes pour exploiter au mieux ses talents, satisfaire ses désirs pour autant qu’ils soient vertueux, n’empiètent pas sur ceux des autres, respectent les règles de la société.

L’être humain, étant déterminé par son hérédité, son éducation et son entourage, n’a donc qu’une impression de liberté qu’il croit exercer en prenant des décisions, mais sa volonté n’est pas libre puisque dépendante de ce que l’hérédité lui a donné. La volonté ne peut donc être libre qu’en rapport à elle, aux aptitudes de notre nature, ce qui ferme dès lors la porte à certains objectifs.

La volonté peut s’exercer par exemple au moment du choix entre plusieurs options, en reconnaissant celle qui correspondra le mieux à sa nature. La volonté, dans le sens d’opiniâtreté, d’acharnement à obtenir quelque chose, se révèle souvent indicatrice d’une mauvaise piste car ne correspondant pas à ses aptitudes innées. Elle ne doit être poussée à cet extrême que lorsqu’on est certain d’être dans la voie adéquate qui se reconnait par le fait qu’une bonne part de l’effort s’exécute spontanément.

Il revient à l’être humain, son caractère et sa santé physique et psychique étant fixés, d’essayer de reconnaître et d’exploiter ses potentialités sans se laisser abuser par lui-même ni par la société qui cherche souvent à les détourner.

C’est là que réside la seule liberté de l’individu selon Spinoza dans L’Éthique : « La liberté réside dans le plein accomplissement de la nécessité de notre nature », la vraie liberté consiste donc à comprendre les lois de la nature et à vivre en harmonie avec elles. Selon lui, être libre signifie agir selon sa propre nature rationnelle, et non selon des désirs impulsifs ou irrationnels. Mais Spinoza oublie un point essentiel : encore faut-il être capable de comprendre ces lois, avoir les aptitudes innées (psychiques et physiques) et l’instruction adéquate pour parvenir à vivre en harmonie avec elles. Les gens doués intellectuellement ont souvent l’impression que leurs congénères sont dotés des mêmes atouts qu’eux.

Dès lors on peut conclure que l’homme n’est jamais libre sauf à certaines conditions très variables, une évidence difficile à admettre tant l’être humain a besoin de se croire libre de ses actes.

Si la nature nous en a donné la possibilité, il faut donc être capable de se résigner, de se rediriger avantageusement en prenant conscience que ce qu’on voudrait être n’est peut-être pas compatible avec ce qu’on est.

Ce qui se produit à un moment précis dans la vie d’un individu sera toujours forcément déterminé par tout ce qui se sera préparé autour de lui et en lui-même. C’est à l’égard des situations difficiles non modifiables parfois de très longues durées - un emprisonnement, une démarche ou un travail obligatoire, une relation forcée, une maladie, etc. - que l’Amor fati peut jouer un rôle pour l’aider à les accepter, sans se morfondre, enrager sur son sort et vouloir lutter inutilement. Il est aussi réconfortant de savoir que chaque nouvel instant est créateur, que les paramètres d’une situation varient en permanence de manière infime pour aboutir tôt ou tard à son changement.

C’est plutôt la vie qui nous choisit que l’inverse comme le dit si bien Salvatore Adamo dans sa chanson C’est ma vie.

L’intérêt de l’Amor fati réside dans son incitation à se connaître soi–même - à condition que les aptitudes héritées le permettent, à prendre conscience de ses talents et lacunes, en observant son environnement, en s’éduquant, en se cultivant, en se perfectionnant en permanence, en apprenant du passé et des expériences vécues pour ne pas reproduire les mêmes erreurs et orienter le plus harmonieusement possible son futur.
Celui-ci ne pourra advenir d’un effort contre-nature, n’émergera que par nécessité et besoin intérieur. Un concept qui aide donc à trouver de l’énergie pour se réaliser.

Les rationalistes et matérialistes purs contrediront sans doute le point de vue qui suit, mais on peut constater qu’une personne au comportement en adéquation avec sa nature, à sa juste place, est toujours favorisée par les circonstances extérieures, simplement parce qu’elle épouse le principe primal universel de recherche d’éclosion dans l’organisation de la matière depuis l’origine de l’univers.

Même des situations de départ les plus affligeantes, comme celle de naître et grandir dans un lieu isolé et pauvre n’empêchera pas la spécificité de certaines personnes par un concours de circonstances incroyables de se développer pour aboutir à des destinées de renommées planétaires. Les exemples sont multiples chez les hommes d’affaires, les artistes, les sportifs… (Steve Jobs, J.K. Rowling, Leonardo Di Caprio, etc.)

Il est illusoire de croire qu’on pourra satisfaire des envies capricieuses de renommée, de richesse, de pouvoir, etc. si elles ne sont pas en concordance parfaite avec nous-mêmes. Des efforts précis et ciblés pour parvenir à ces fins ne parviendront à faire évoluer les situations dans ce sens que de manière artificielle et provisoire sans rendre heureux durablement. Il faut en réalité une « lame de fond » qui porte l’individu malgré lui depuis toujours, mais aussi la lucidité de sentir sa présence, d’en prendre conscience et de favoriser son transport par son comportement.

La volonté dont semble être dotée les individus en phase avec leur destin - non joué d’avance - répond à un besoin, elle est naturelle et ne demande donc pas d’efforts crispés. Si elle est spontanée, elle requiert tout de même leur contribution raisonnée pour éviter ou surmonter les embûches inévitables. Mais il est nécessaire d’être convaincu qu’on y parviendra puisqu’il ne peut pas en être autrement si on est en harmonie avec sa nature véritable, une certitude qui émerge avec la connaissance de soi et du monde qui nous entoure.

On peut se souvenir des citations de Friedrich Nietzsche : « Tu dois devenir l'homme que tu es. Fais ce que toi seul peux faire. Deviens sans cesse celui que tu es, sois le maître et le sculpteur de toi-même. » (Ainsi parlait Zarathoustra) ; « Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort » (Le Crépuscule des Idoles) ; et encore « Amor fati: que ce soit dorénavant mon amour ! Je ne ferai pas la guerre contre la laideur. Je n’accuserai point, je n’accuserai pas même les accusateurs. Détourner le regard : que ceci soit ma seule négation ! Et à tout prendre, je veux en toutes circonstances, n’être plus autre chose que pure adhésion ! » (Le Gai savoir, aphorisme 276).

Il est probable que le concept de l’Amor fati a été inspiré à Nietzsche par Montaigne qui écrit trois cents ans plus tôt dans ses Essais qu’il ne s’agit pas d’expliquer la vie mais de la vivre mieux, de la jouir, de la cultiver afin de l’aimer. Il lui souffle ainsi que toute l’intelligence et toute la sagesse est de s’en contenter comme elle vient, avec ses plaisirs et ses épreuves (Livre XIII, chapitre 13).

(Extrait de mon Abécédaire auxiliaire)


24 janvier 2025


À propos d'avenir

Il est difficile de croire à un avenir radieux à long terme pour l’humanité, on peut raisonnablement évaluer qu’elle jouera déjà sa survie d’ici 100 à 150 ans, si sa progression démographique ne change pas, si sa manière d’exploiter les ressources naturelles n’est pas modifiée, si on ne trouve pas le moyen d’assagir les tendances prédatrices et belliqueuses de la nature humaine.

Le premier problème sera l’explosion démographique. Il faut réaliser que les prédictions de ralentissement de sa progression annoncées depuis des années sont élaborées par l’Occident (Europe et États-Unis) sans prendre la mesure réelle de la situation dans le reste du monde. La population mondiale qui était en 2009 de 6,75 milliards est aujourd’hui en 2024 de 8,19 milliards soit une augmentation de plus de 20% en 15 ans! On n’imagine pas qu’elle se stabilise subitement d’ici quelques dizaines d’années, on peut au contraire supputer qu’elle atteindra facilement les 12 milliards en 2050 et les 20 milliards en 2100 !

Cette inflation de population entraînera un accroissement proportionnel de l’exploitation des ressources de la planète, ainsi que de la pollution de l’air et de l’eau. L’eau potable deviendra très précieuse puisque sa quantité nécessaire à la survie des populations aura plus que doubler.

Il est naïf de croire que l’on va pouvoir réfréner la consommation puisque le modèle économique libéral qui s’étend sur toute la planète nous invite à l’accroître pour assurer rentabilité et enrichissement individuel et collectif.

Les combustibles fossiles, à n’en pas douter, seront consommés jusqu’à leur épuisement vu leur source facile d’enrichissement pour les multinationales ce qui entraînera une qualité d’air délétère (avec les particules fines), un réchauffement climatique (dû à l’accumulation de CO² dans l’atmosphère) provoquant montée des eaux, sècheresses, catastrophes climatiques diverses avec pour corollaire des migrations de population qui susciteront des tensions et des guerres.

Les rejets de l’industrie pollueront de plus belle les cours d’eau et les océans déjà appauvris en poisson, les grandes forêts naturelles notamment amazoniennes seront en voie de disparition (afin d’en faire par la technique du brûlis des terres fertiles pour l’élevage ou la culture de soja) et avec elles les plantes qui entrent dans la composition de nos médicaments, de certains animaux qui jouent un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire. Agriculture et élevage seront industrialisés dans un milieu dénaturé et souillé.

Le jour de l’année où nous avons consommé toutes les ressources que notre planète peut régénérer d’elle-même en une année ne cesse d’avancer. En 2023, ce jour de dépassement a été atteint le mercredi 2 août, date à partir de laquelle on entame le capital naturel nécessaire au maintien de la vie sur Terre. En 2100, on peut estimer qu’on ne vivra plus que sur ce capital sans plus aucune régénération.

Une diminution de la biodiversité entraîne un risque de pénurie alimentaire mondial car les monocultures seront beaucoup plus sensibles aux maladies et parasites. Des myriades de micro–organismes et d’insectes sont à la base de la production agricole, ainsi 75 % des récoltes dans le monde dépendent de la pollinisation or les colonies d’abeilles se font de plus en plus rare (selon un rapport de la FAO, Organisation des Nations Unies pour l’alimentation). Notre alimentation se limiterait de plus en plus aux seules céréales non dépendantes de la pollinisation.

La raréfaction des matières premières (puisque le pourcentage de recyclage dans le monde en 2022 n’atteint que 9 %) provoqueront des convoitises susceptibles de mener à des conflits armés auxquels on assiste déjà au Moyen–Orient et en Afrique.

Le physicien de renommée internationale Stephen Hawking (1942–2018) affirmait en 2017 :"Il n’y a aucun signe d’affaiblissement des conflits et le développement des technologies militaires et des armes de destruction massives en rendent l’issue de plus en plus catastrophique. La meilleure chance de survie de l’humanité est de coloniser Mars avant la fin du 21ème siècle" pressentant les dommages des convoitises à venir et l’urgence à trouver une Terre de substitution habitable et exploitable ce qui est illusoire dans le laps de temps imparti.

Si les technologies seront sans doute capables de pallier à certaines avaries et pollutions, elles seront aussi capables d’accroître l’intensité et la portée des dégâts causés à l’adversaire, en cas de conflit, avec le développement de l’intelligence artificielle et des robots tueurs militaires. Mais la menace majeure reste certainement la guerre nucléaire qui est susceptible d’advenir au moins sur une partie de la planète. On voit bien que les provocations de chefs d’État mégalomanes tels que Poutine ou Kim Jong-un pourraient facilement dégénérer.

Sur le plan individuel, une fois les besoins élémentaires assurés, il est nécessaire que chacun reconnaisse le plus tôt possible ses goûts, ses aptitudes, ses talents pour les exploiter au mieux, car c’est la condition qui rend l’être humain épanoui et heureux. Dès lors, il est conseillé de ne jamais abandonner ses rêves et ses ambitions car ce serait comme mourir avant l’heure, mais aussi de ne pas se laisser obnubiler par eux afin de prendre le temps de profiter de la vie, de contempler les beautés naturelles ou créées par l’homme, de goûter aux œuvres d’art, de connaître et de comprendre le monde donc de le visiter - sans rechercher l’exhaustivité, de ne pas négliger les petits plaisirs, les moments passés en famille et avec les amis, d’éviter les sources de problèmes et les importuns, les anticipations négatives qui mènent à la déprime et font perdre beaucoup de temps, de veiller à sa santé, sa condition physique, de soigner son lieu de vie, de garder une vie sociale, d’aimer et d’être aimer, car l’amour et l’affectif sont fondamentaux pour l’être humain.

Plus le nombre d’êtres humains heureux sera élevé, mieux l’humanité se portera. Une évolution favorable de l’espèce est déjà possible pour plus de 5 milliards de Terriens, puisque cette part de la population mondiale (65 %) ne souffre pas d’insécurité alimentaire, son bien-être à long terme ne dépendant dès lors que de sa bonne organisation individuelle et sociale.

(Extrait de mon Abécédaire auxiliaire)