La rubrique «Journal» rassemble critiques, impressions et improvisations sur des spectacles, des expositions, des faits vécus ou de l'actualité.
2 juillet 2014
Vision de Vandal hier en avant-première à la Sauvenière, en la présence du réalisateur Hélier Cisterne et de Zinédine Bencherine, rôle principal.
Chérif, un jeune fils d’ouvrier émigré vivant avec sa mère, est envoyé à Strasbourg chez son oncle et sa tante pour tenter d’obtenir un CAP de maçonnerie, une mesure prise par un juge après un vol de voiture. Il est engagé sur le chantier où travaille son père mais s’y ennuie ferme. La nuit, son cousin lui fait découvrir le monde des graffeurs où des bandes rivalisent pour trouver les spots les plus audacieux et réaliser les graffs les plus impressionnants.
Cette activité nocturne transgressive est présentée comme un défouloir pour ses ados étouffant sous les contraintes de leur milieu de vie (scolaire, professionnel, familial, environnemental...), ce qu’on savait déjà…
Le film (qualifié par la critique de naturaliste poétique) est gentiment démonstratif. Le scénario manque de consistance, pas de réelle histoire ni suspens. Il se perd en dialogues sans grand intérêt. Si on devait le comparer à un livre, on ne tournerait pas les pages avec beaucoup d’entrain.
L’aspect artistique du graff n’est pas abordé ni les éventuelles dispositions du protagoniste. À peine a-t-on le temps d’entrevoir, dans la nuit, quelques graffs bien relevés. On notera au passage que cet art, par nature rebelle et subversif, semble sclérosé par une forme d’académisme, d’uniformité dans le m’as-tu vu ? Tous les graffeurs semblent en effet formés à la même école : graphisme anguleux, lettrage torturé, couleurs discordantes…
Même si on n’attend pas d’un film qu’il soit moralisateur, on n’attend pas non plus qu’il soit un encouragement au vandalisme, ce qu’il pourrait être puisque les acteurs sont mis en valeur. Le film élude complètement le fait que chaque support (même public) appartient à un propriétaire qui n’a rien demandé et se trouve lésé.
22 mars 2014
Emission de Jacques Lemaire La pensée et les Hommes sur le thème Faux et vrais secrets de la franc-maçonnerie (Interrogations impertinentes sur la réalité maçonnique) avec pour invités Françoise d’Hautcourt et Marcel Bolle de Bal (auteur de différents ouvrages sur le sujet).
Marcel Bolle de Bal s’oppose à la mixité en loge au nom d’un travail qui serait effectué sur la personnalité (des hommes)… ? (Que les femmes viendraient perturber ?)
Après avoir avoué un certain déséquilibre dans la représentation des statuts sociaux en franc-maçonnerie du fait de l’absence de la classe ouvrière, les invités prétendent que toutes les autres classes sont bien représentées (notamment celle de chefs d’entreprise — 25%, mais qui elle serait plus discrète) ainsi que toutes les obédiences (catholiques, musulmanes, etc.). Or, il est avéré que la toute grande majorité des francs-maçons sont laïques (ou agnostiques) même si, comme ils le prétendent, certains évoluent parfois (mais sûrement très rarement) vers une certaine forme de déisme.
Les laïques qui en feraient partie sont des laïques qui ont réfléchi ( !) à leur laïcité… qui ne le sont pas de principe… (Les autres n’y réfléchiraient pas ?)
Sur les motivations d’entrer en maçonnerie, les invités avancent qu’elles sont d'abord la curiosité (de s’instruire, d’évoluer…), puis la recherche d’une certaine fraternité, enfin la possibilité d’exprimer des idées ou des opinions que les groupes politiques ou syndicats ne prennent pas le temps d’entendre (sauf que la première année l’initié n’a pas le droit de parler !)
Ils omettent évidemment la principale motivation qui est de chercher à se constituer un réseau de relations qui pourraient servir les ambitions personnelles (professionnelles, politiques, etc .) ou faciliter la résolution de problèmes rencontrés dans la vie sociale (en se liant à des magistrats, avocats, notaires, etc.) et bénéficier ainsi, sinon de préséances, en tout cas de bonnes dispositions fraternelles…
À la lumière de cette motivation, on comprend la surreprésentation des chefs d'entreprise (25%) mais la sous représentation des "grands" chefs d’entreprise (qui n’ont pas ou plus besoin de ce réseau.)
Omettre de mentionner cette motivation capitale dans une émission qui prétend s’attacher aux Faux et vrais secrets de la franc-maçonnerie révèle une certaine hypocrisie...
Le but général poursuivi par la franc-maçonnerie de rendre le monde meilleur laisse perplexe puisque le grand public n’est pas tenu au courant du résultat de ses travaux et qu’il ne peut en discerner ses effets (secrets ?) dans ce monde de plus en plus individualiste et déshumanisé (dans le milieu du travail notamment).
18 janvier
Représentation de deux œuvres du maître du vaudeville, Eugène Labiche (1815-1888), hier à La Comédie de Liège : Mon Isménie et Permettez Madame !
Le théâtre de La Comédie de Liège encore trop peu connu (il a ouvert ses portes en 2005) se trouve au fond d’une impasse privée donnant sur la rue Bassenge. Cette ancienne imprimerie a été aménagée avec goût par Colette Stine et Roland Langevin (comédiens et pédagogues). Le côté délicieusement rétro de la disposition et de l’aménagement (plancher de scène surélevé, murs et rideau de velours rouge, sièges rabattables en bois sur gradins) annonce une prédilection des maîtres des lieux pour le théâtre classique et d’auteurs (reconnus).
Les deux comédies présentées sont très proches dans la forme et sur le fond, bien qu’elles aient été écrites à 11 années de distance (1852 et 1863).
Synopsis de Mon Isménie : un huitième prétendant nommé Dardenboef se présente chez la famille Vancouver pour demander la main d’Isménie. Mais il se heurte à un père possessif qui cherche à l’éconduire comme tous les précédents sans que sa fille ne le tienne pour responsable...
Synopsis de Permettez Madame ! : Mme Bonacieux aime à diriger et ne tolère aucun écart de son mari. Elle décide de marier sa fille Céleste au jeune Henri que son oncle Léon vient présenter. Mais celui-ci se révèle aussi entêté qu’elle...
Le vaudeville d’Eugène Labiche n’emploie pas encore l’argument principal de l’adultère, qu’on lui connaîtra au vingtième siècle, échelonné de rebondissements ponctués de portes qui claquent mais se fonde en revanche déjà sur le procédé classique de la répétition de situation et de mots ou d’expressions (Permettez Madame !). On est ici dans des comédies plus fines, moins graveleuses (que celles qui viendront), où l’observation de caractères domine. La possessivité maladive, l’entêtement, l’orgueil démesuré… y sont ridiculisés de manière délicate par un jeu des comédiens soigné, attentif aux subtilités du texte. On ne trouvera donc pas son plaisir dans le rire épais mais plutôt dans l'enjouement et le sourire entendu qui fait passer un agréable moment tout en raffinement.
Le petit foyer qui permet de rencontrer les comédiens après le spectacle parachève la réussite de la soirée.
17 janvier
Raphaël Enthoven était au Palais des Congrès hier soir dans le cadre des Grandes Conférences Liégeoises pour donner une conférence intitulée : « Proust ou l’art du réenchantement ».
Jacques Dubois, professeur à l’université de Liège, chargé de sa présentation, profite de l’audience exceptionnelle pour livrer un aperçu de ses cours : il conseille de lire Proust ni trop tôt… ni trop tard… car il déploie une pensée souple, subtile, une dialectique particulière qui nous oblige à nous hausser à sa hauteur et nous rend plus intelligent.
Il présente ensuite Raphaël Enthoven comme un militant de la philosophie : professeur à Sciences Po et à l’Ecole polytechnique, conseiller de la rédaction de Philosophie Magazine, il anime Les nouveaux chemins de la connaissance sur France Culture et a bien sûr écrit de nombreux ouvrages dont le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust écrit avec son père Jean-Paul Enthoven, éditeur chez Grasset.
Enthoven présente Proust comme le plus philosophe des écrivains, un injecteur d’humilité. La recherche du temps perdu est l’histoire d’un apprentissage : Marcel devient écrivain.
Pour l’apprécier à sa juste mesure, dans toutes ses subtilités, entendre le génie de l’écrivain, il faut la lire deux fois ! D’ailleurs, il est tout-à-fait logique de recommencer sa lecture puisque la fin se termine par le commencement. On y passe sans cesse de l’espoir à la déception puis à l’émerveillement. C’est l’histoire d’un réenchantement…
La recherche relève pour lui du syndrome de Rackham le Rouge, le pirate dont le trésor est recherché par Tintin et le Capitaine Haddock dans Le secret de la Licorne: après avoir entrepris un voyage au bout du monde pour retrouver le trésor sans succès, Tintin trouve un globe terrestre dans les caves du château hérité par le capitaine Haddock, il pose son doigt sur l’endroit où ils se sont rendus et le globe s’ouvre sur le trésor. S’ils n’avaient pas fait le voyage, ils n’auraient sans doute pas trouvé le trésor...
Le philosophe cherche à rendre son propos vivant, s’exalte dans sa réflexion mêlée d’extraits lus, recourt au syllogisme… mais avec une emphase et des variations dans le ton et la hauteur de voix non justifiées par le contenu de son discours. Il «surjoue» son rôle d’orateur mais surtout va (beaucoup) trop vite pour que le public puisse suivre le fil de tous ses raisonnements. Dès lors, malgré son enthousiasme, il remarque qu’une dame s’est endormie, mais il y voit plutôt un hommage car on ne s’endort que lorsqu’on se sent bien, à son aise…
Parmi ses choix d’extraits, il met en évidence la désillusion devant la réalité des choses rêvées ou imaginées (avec les passages sur Mme de Guermantes telle que le narrateur l’avait imaginée et puis telle qu’il la voit). Il déconseille donc de se rendre à Illiers-Combray (une localité qui s’est outrageusement adjoint le patronyme fictif de La recherche), une localité des plus banales, l’antithèse de la gare de Liège… De même pour Cabourg dont le Grand Hôtel est plutôt moyen sinon petit (il a perdu depuis les deux tiers de son volume). Aller à Cabourg, c’est s’éloigner de Balbec… Pour bien asseoir ce risque de déception, il relève que la villa louée par le père de Marcel Proust à Saint-Cloud dans la banlieue de Paris (mentionnée dans La recherche) est aujourd’hui celle de la famille Le Pen (la villa Montretout).
De ce point de vue l’écrivain peut donc devenir le parasite de son œuvre…
Le philosophe s’attache à la promenade d’Hudimesnil (lecture d’un extrait) où le narrateur reconnaît trois arbres qu’il ne peut pas avoir déjà vu, au point qu’il se demande si toute sa promenade n’est pas une fiction, et Balbec un endroit où il n’est jamais allé que par l’imagination... Il voit un rapport avec la phrase classique que prononce le dragueur : « Je vous ai déjà vu quelque part. » Une réflexion très platonicienne (la théorie de la réminiscence de Platon veut démontrer l’immortalité de l’âme et l’existence de réalités intelligibles), de l’ordre de l’illumination amoureuse (je ne vous connais pas mais je vous reconnais). Le coup de foudre est d’ailleurs une grâce ambidextre : le ressenti d’une étrange familiarité de celui qu’on ne connaissait pas.
L’étonnement n’est pas la surprise, c’est ce qu’on reconnaît… quoiqu’on le découvre. L’étonnement donne ses lois à l’Humanité quand Newton s’étonne de voir tomber une pomme…
Apprendre quelque chose, c’est découvrir ce qu’on savait déjà. Mais il faut donc être capable d’être surpris par ce à quoi on s’attend.
La recherche du temps perdu et la conférence se terminent sur des accents de vieillesse et de mort dans Le temps retrouvé (dernier volume) qui n’a pas nécessairement été écrit après Du côté de chez Swann (premier volume), certains passages l’ayant été avant. Le narrateur y constate les ravages du temps, tout le monde a les cheveux blancs, les désirs sont étouffés, le temps a donné des semelles de plomb… Il réalise qu’il va mourir, que tout le monde va mourir, alors qu’on fait tout pour ne pas y penser, qu’on perd son temps à essayer d’oublier que cela arrivera un jour. Et quand ça arrive on est stupéfait… Ceux qui restent disent « il est mort, le pauvre ! » comme si eux-mêmes allaient y échapper.
Cette révélation de la mort l’inquiète car il vient juste d’avoir celle de son art. Il veut avoir le temps d’extraire son minerai intérieur, le filon dont il est l’outil (extracteur). Mais ce qui le désole se met à l’enchanter, car avec l’expérience de la vieillesse, il fait l’expérience de l’éternité, il n’a plus la grande peur mystique de la mort, il devient un artiste en découvrant la persistance du changement, en éternisant le transitoire…
13 janvier 2014
Sois Belge et tais-toi ! Un parfum d’élection, représenté hier après-midi au Forum de Liège.
Une comédie musicale d’André et Bauduin Remy (père et fils). 16ème spectacle, 900 représentations depuis sa création en 1982 et une bonne soixantaine à travers toute la Belgique (y compris la Flandre) pour cette dernière mouture : un succès grand public qu’on ne peut contester. Sept comédiens et comédiennes (dont les auteurs) imitant différents protagonistes de la vie politique belge, projections sur toile de fond pour planter les décors, musiques, chants, chorégraphies et interviews vidéo… Le spectacle a nécessité le recours à une équipe de six personnes pour sa mise en scène : coach vocal, chorégraphe, arrangeur, etc.
L’actualité politique en ce compris la famille royale, ainsi que l’enseignement, l’équipe nationale de football, une compagnie d’aviation low-cost, les certificats verts et les problèmes linguistiques entre les deux communautés du pays sont évoqués en 23 sketches répartis en deux actes. Les attitudes, expressions, et tons de voix des politiciens ont globalement été bien observés mais les imitations ne valent pas celles d’autres imitateurs professionnels bien connus. Manquent le panache, l'insistance et l'exacerbation de certains tics de langage et de comportement. Ces parodies ne parviennent donc qu’à faire sourire sans jamais déclencher le rire franc.
Les dialogues écrits avec un sens certain de la repartie reste dans le superficiel et le léger, dans le registre bon enfant, politiquement correct (un comble). C’est donc l’aspect gentillet qu’on reprochera le plus à ce spectacle, son manque de critique sur le fond des politiques menées, bref sa neutralité qui pourrait s’expliquer par l’activité principale d’animateur-médiateur de débats politiques (sur la RTBF) de Bauduin Remy (l’auteur et acteur principal).
Un spectacle qui ne provoque aucun commentaire, aucune réflexion, aucun débat à sa sortie, comme l’impression d’avoir assisté à un spectacle de fin d’études amélioré (pris en charge techniquement par des professionnels). Un moment agréable, sans plus (ne valant pas le prix demandé).
Sois Belge et tais-toi ! ressort au final comme l’assertion la plus incisive du spectacle qui ne répond donc pas (une fois de plus) au ton annoncé dans son intitulé.
8 janvier 2014
L’affaire Dieudonné fait grand bruit... Difficile d’en parler avec justesse quand on n’a pas eu l’occasion de voir le(s) spectacle(s) incriminé(s). Toujours est-il que les attaques (sous forme de moqueries, piques, allusions ironiques, etc.) répétées à l’égard d’une communauté tout entière (juive en l’occurrence), si elles sont avérées, méritent d’être condamnées. Car elles blessent une majorité de personnes innocentes (non concernées). Cependant la liberté d’expression doit être protégée et dès lors, la mesure d’interdiction de représentation au pied levé paraît abusive, trop expéditive, en tout cas indigne d’un état démocratique. S’il y a infraction à la loi contre le racisme et le discours haineux, elle doit d’abord être relevée précisément et faire l’objet d’une condamnation en bonne et due forme pouvant alors aboutir à l’interdiction du spectacle (si les passages concernés ne sont pas retirés).
Si l’humoriste estime que l’influence de certaines personnes ou associations de personnes faisant partie d’une même communauté est nuisible et contestable, les désigner nommément ainsi que les lieux et les formes d’influence qu’ils exercent seraient plus efficace et courageux. Car le dénigrement à l’emporte-pièce, globalisant, comporte une forme de lâcheté et révèle en fin de compte une connaissance imprécise des comportements et actes reprochés. Une pratique trop facile qui conduit à une stigmatisation systématique sur un seul critère, dès lors très contagieuse, celui d’être juif, arabe, noir, blanc...