La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses aux sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d'actualité.
14 janvier 2013
Une bribe de phrase suffit parfois à démasquer le rôle permanent qu'une personne peut jouer dans la comédie qu’elle fait de sa vie. Par exemple, Jane Birkin installée depuis quarante-cinq ans en France et répondant à Michel Druker dans son émission «Vivement Dimanche» avec l’accent British d’une jeune fille en fleur fraîchement débarquée. Je l’entends dire sur son sujet privilégié qui a fait son succès : «… quand j’ai entendu mon chanson…»
Soit la démonstration de la manière d’entretenir l’exploitation (à long terme) d’un filon rentable à la scène comme à la ville, en l’occurrence le capital de sympathie attendrissant d’un accent exquis et des fautes de langage…
15 janvier 2013
Que le grand âge associé à la fonction honorifique suprême fasse perdre le sens de toute mesure et des réalités du monde d’en bas n’est pas le plus grave, mais qu’un million et demi d’euros alloué par an ne suffise pas à s’entourer de conseillers compétents… capables de réaliser que la fortune d’une famille Royale qui repose entièrement sur de l’argent public (provenant de la dotation ou pas) ne se gère pas comme le capital d’une entreprise ou des biens privés, c'est-à-dire en ayant recours à l’ingénierie fiscale... Ce recours systématique par les privilégiés (des plus inattendus) est sans doute révélateur d’une exagération des impositions mais aussi des lacunes «délibérées» de la législation.
16 janvier 2013
J’entends Patrick Rambaud (auteur d’une trentaine de livres, Prix Goncourt et Grand prix du roman de l’Académie française pour La Bataille en 1997) invité dans l’émission de Laurent Ruquier « On n’est pas couché », déclaré d’un air désolé que les montants de ses droits d’auteur ne sont en rien comparables à ceux que reçoit Gérard Depardieu pour ses films… Certainement, mais son insistance d’évidence motivée par la crainte de paraître dévoyé par rapport à son engagement idéologique à gauche — au vu de son cheval de bataille de ses derniers livres — laisserait croire qu’il est presque à plaindre et tout au plus dans la norme d’une rémunération moyenne. Or, le prix Goncourt a été vendu à près de 400.000 exemplaires ce qui a rapporté à son auteur pas loin d’un million d’euros. En outre, ses Chroniques du règne de Nicolas 1er (la sixième sur six ans), se vendent à près de 100.000 exemplaires. À compter un minimum de 10% de rétribution du prix de vente (pour un auteur réputé), son annuité (par parution) est sans rapport avec le salaire de la classe moyenne auquel il aimerait faire croire appartenir…
6 décembre 2013
Temps de tempête sur la route hier soir pour aller assister à l’abbaye de Stavelot à une représentation du théâtre du Souffle… mais le déluge cesse à l’instant où nous nous garons devant la galerie du Triangle Bleu. Il ne reste plus qu’à éviter les mares d’eau dans l’obscurité pour rejoindre l’entrée de l’abbaye et la salle François Prume (du nom d’un violoniste stavelotain du 19ème).
Débrayage de Rémi De Vos, mis en scène par Janick Daniels, s’attaque au monde du travail et en particulier au management d’entreprise. Le spectacle se présente sous la forme de 9 sketches ou saynètes mettant en scène des salariés confrontés aux méthodes de coercition des patrons, managers, embaucheurs, petits chefs en tous genres des entreprises privés et de la fonction publique (et oui… elle s’y met).
Le décor minimaliste contemporain se composant d’une toile tendue entre des structures en alu triangulaire sur laquelle sont projetées en cascade des vues d’atelier d’usine, de bureaux paysagers vides, de tours d’appartements… des univers glacés, évoquant l’enferment moral et l’uniformisation.
Le premier sketch donne le ton et lance une flèche aux médias (et donc à l’opinion publique) qui laisse croire que Marx est mort, que la lutte des classes est dépassée et que le capitalisme a triomphé... Le commun des mortels y croit ou fait semblant, renonçant même à contester jusqu’au moment où il se trouve licencié.
Vacances annulées en dernière minute pour cause de dossier à remettre au supérieur au plus vite, ergotage d’un «caporal-chef» sur l’heure d’arrivée au bureau, pression permanente par la menace du licenciement, choix d’embauche sous critère de performing évolutif, séance de gym décompressive… sont certains des effets reluisants de l’ingénierie managériale abordés.
L’expression orale et gestuelle est exacerbée, déroutante, décalée reflétant le déséquilibre, le débrayage… des victimes de la voracité de ce système économique.
Une tragicomédie qui démontre avec pertinence, grâce au talent affirmé des comédiens, les corollaires de la mentalité des fanatiques de la productivité méprisant avec arrogance l’humanité.
Belles salves d’applaudissements… pas complètement partagées. Un couple de cadres (ou autres patrons), se retrouvant sans doute dans certains accents tyranniques de leur stratégie stakhanoviste, restent de marbre et s’éclipsent.
13 décembre 2013
Un abonnement à un cycle de conférences présente l’avantage d’entendre parler d’un sujet sur lequel on ne se serait pas penché sur le moment et d’offrir en 1 heure (ou plus) une synthèse orale de l’ouvrage que l’orateur vient de publier (car il est rare qu’une conférence soit purement « gratuite » puisqu’elle est un outil de promotion important des auteurs).
Le principe habituel de vulgarisation et de synthèse « anecdotisée » rend toutefois la plupart des conférences d’un intérêt relatif pour les personnes un peu familiarisées au sujet traité. Le danger est de s’imaginer que parce qu’on a assisté à une conférence on peut se faire une bonne idée de la pensée de l’auteur et même du domaine qu’il traite alors qu’on en sort avec une vue biaisée et superficielle. La lecture de quelques livres sur le sujet est évidemment d’un tout autre niveau d’information, le seul qui permette d’avoir une vision globale juste et de se faire une opinion. La conférence doit donc seulement jouer un rôle catalyseur à entreprendre des lectures et non être considérée comme une finalité.
Il faut pointer le défaut fréquent, non négligeable, des titres trompeurs, aguicheurs… Un défaut qu’on ne retrouve pas dans les ouvrages, car la duperie y est moins acceptable vu la pérennité des écrits…
En effet, nombre de conférenciers ne traitent pas vraiment (ou en profondeur) le sujet annoncé ainsi Pascal Picq, hier aux Grandes Conférences Liégeoises. L’anthropologue et maître de conférences au Collège de France annonçait « Comment s’adapter dans un monde sans certitude : Une question d’évolution », alors que seule la moitié de son titre (celle après les deux points) pouvait correspondre au contenu de sa conférence.
On débute par un petit problème technique (informatique), pour ainsi dire systématique dans toutes les conférences. Mais Pascal Picq s’en sort en plaisantant. Le personnage dégage une certaine sympathie bonhomme.
Collègue d’Yves Coppens, l’homme se révèle darwiniste et lévy-straussien convaincu, au point que son option partisane frôle l’idolâtrie (biographies appuyées des deux personnages, anecdotes et révisions de leurs théories).
Le conférencier revient sur l’évolution de l’Homme de manière un peu débridée, rappelle qu’affirmer que l’Homme descend du singe est une aberration, que les dinosaures n’ont pas mystérieusement disparus mais qu’ils se sont transformés en oiseaux... Il cite des films (La planète des singes, 2001, l’Odyssée de l’espace, Man to man, etc) et des ouvrages (Voyage au bout des ténèbres de Conrad, Tristes tropiques et Race et histoire de Lévi-Strauss, etc.), raconte des anecdotes, etc.
Il glisse au milieu de tout ça son argument essentiel, l’idée maîtresse qu’il sert au monde de l’entreprise et justifie la première partie de son titre (avant les deux points) : la sélection naturelle n’est pas la théorie du plus fort mais celle de la meilleure capacité d’adaptation au milieu. C’est l’espèce dont les individus laissent la plus grande descendance qui survit. Le hasard intervient toujours, le monde change sans finalité. L’adaptation n’est toutefois jamais absolue, on n’est jamais le meilleur qu’à un moment donné. La diversité est l’assurance vie d’une espèce, elle est fille de l’évolution (exemple : si tous les humains étaient exactement semblables, une épidémie viendrait facilement à bout de toute l’humanité, voir la grippe espagnole).
Voilà le management de groupe bien avancé…
Il termine en rappelant que la population mondiale a été multipliée par trois depuis qu’il est né (en 1954) et que chaque individu consomme cinquante fois plus. Bref, il constate qu’on ne pourra pas continuer comme ça. La diversité diminue chaque jour, d’ailleurs les voyages de Darwin et de Lévi-Strauss entrepris aujourd’hui n’auraient pas permis de développer leurs théories. Nous sommes désormais devenus coresponsables, il est urgent de se réconcilier avec la nature...
15 décembre 2013
Théâtre à domicile hier soir ou presque avec Les Rustres de Goldoni, une pièce mise en scène par Sylvain Plouette assisté de Chloé Petit au théâtre Proscenium de la rue Souverain-Pont.
On est accueilli dans le bistrot du théâtre par un air d’accordéon joué par un artiste de rue, une ambiance de la Belle époque à Paris que nous apprécions en sirotant une bière d’abbaye.
Les Rustres est une comédie de caractère qui met en scène des personnages ayant un défaut distinctif marqué que l’auteur s’amuse à confronter. L’intrigue est le plus souvent succincte sinon simpliste, l’intérêt de la pièce résidant surtout dans le comique des attitudes et des situations.
Carlo Goldoni, dramaturge italien du 18ème siècle a trouvé sa voie entre la commedia dell’arte et le théâtre classique de Molière dont il est un admirateur. Son métier de juriste et d’avocat influera sur le sujet de ses pièces et la finesse de son écriture. La pièce représentée pour la première fois à Venise en 1760, l’est encore aujourd’hui par différentes compagnies à travers toute l’Europe.
Les Rustres (sous-entendu les hommes) s’attaque à la vieille tradition patriarcale et au machisme dont des reliquats très prégnants persistent à bafouer largement la liberté de la femme dans notre société contemporaine. Il est question ici de deux pères de famille de la petite bourgeoisie italienne qui cherchent à arranger un mariage entre leurs enfants sans leur donner la possibilité de se voir avant la date de la bénédiction afin de ne pas compromettre leurs manigances. Les épouses s’échinent à déjouer leurs plans et à organiser une rencontre entre leurs enfants.
Décor soigné comme toujours au Proscenium : un perron en fond de scène avec balustrade amovible servant de grillage à l’alcôve se trouvant dessous en position baissée, deux rideaux blancs au-dessus où l’on devinera des personnages intriguant en ombres chinoises, une rivière symbolisée par un couloir d’eau (!) en U autour de la scène…
Les comédiens jouent sans masques mais sont soigneusement maquillés et costumés. Des costumes truculents qui collent parfaitement au jeu excentrique des comédiens qui ont tous parfaitement intégré leur personnage. On assiste à un véritable festival d’expressions faciales et corporelles, avec le souci affiché de capter à chaque instant l’intérêt amusé du spectateur.
Le critique tatillon relèvera peut-être l’un ou l’autre costume de rôles secondaires trop classique (moins parlant) au rapport de ceux des protagonistes principaux, un jeu qui aurait pu aller plus loin encore dans la caricature et le surréalisme (de situation), un essoufflement (et donc un manque de puissance vocale) d’une des comédiennes... Mais le résultat reste d’un niveau professionnel, monté par un théâtre à l’affût de l’éclosion de nouveaux talents.
Il faut rappeler qu’il n’existe pas de troupe officielle du théâtre Proscenium puisque tous les acteurs (metteurs en scène, techniciens, etc.) sont sans cesse renouvelés, en fonction des disponibilités, goûts, affinités... Une qualité globale de spectacle atteinte étonnante d’autant plus louable que sa direction (assurée de manière rigoureuse et maîtrisée par Madame Noirfalisse depuis de nombreuses années) donne ainsi au plus grand nombre d’artistes (de tout âge et de tous horizons) la chance de pouvoir épanouir leur passion dans les meilleures conditions devant un public nombreux et fidèle.