"Il faut que la peinture serve à autre chose qu'à la peinture", Henri Matisse.
Alain Zenthner
La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses aux sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d’actualité.


19 décembre 2010

Prendre le risque de partir d’y aller tout de même de patiner de devoir abandonner la voiture au hasard d’une plaque de verglas alors que la neige tombe toujours et ne cessera de tomber on le sait tout l’après-midi et peut-être toute la soirée sillonner la ville blanche par de longs détours traverser le fleuve noir par contraste et parvenir aux deux volets presque clos et tagués du centre polyculturel de la résistance aux intempéries ? et être accueilli par des hôtesses de l’air qui ne nous attendaient pas mais qui nous remettent notre carte d’embarquement pour un chapiteau intérieur chauffer par un canon à chaleur et l’un ou l’autre radiant avant que les trois femmes cinquantenaires nous donnent des conseils de sécurité se présentent puis se livrent s’apostrophent au milieu des passets sur fond de voix off de voilures noires et blanches nous parlent de souvenirs de leur ville du charbon du fer de la fête et de voyages en pays incertains qu’elles finissent par délaisser pour revenir d’où elles sont parties en jouant de tables inclinées de film de revendications légitimes projetés tandis que les jambes se refroidissent et se couvrent de plaids vert-eau et s’échinent à déplacer les passets pour les superposés pour faire des tours précaires au son rythmé du tambour des claquements de bois qu’elles finissent par nous confier pour sortir dans l’allégresse et élaborer une œuvre collective des passagers de l’absurde sur le socle barré du néon bleu


8 décembre 2010

«Lennon nous dit d'imaginer un monde sans possessions, et le voilà avec des millions de dollars, des yachts, des propriétés et investissements immobiliers, se moquant des gens comme moi qui crurent ses mensonges et achetèrent ses disques, en construisant une grande partie de nos vies autour de sa musique.»

Ainsi se justifiait encore l’assassin de John Lennon, Mark David Chapman, dans une interview accordée à Lynne Schultz le 26 décembre 2006. Il considérait le chanteur comme un traître, un symbole de cynisme et de mensonge, car il trahissait son message de paix et de fraternité entre les hommes en gérant sa fortune de milliardaire comme un requin de la finance dans sa tour d’ivoire (le Dakota Building).

Lennon n’aurait jamais imaginé que sa mort résulterait de cet écart entre les idéaux ou les bons sentiments (dont il se disait animé) et leur mise en pratique. Il n’aurait jamais imaginé que quelqu’un serait capable de le tuer pour ne pas avoir conformé son mode de vie à ses idées. Et pourtant, il aurait dû pressentir un risque après avoir comparé sa notoriété avec celle de Jésus-Christ et écrit des chansons qui sonnent comme des prophéties…


Imagine (Imaginez)

Imaginez qu'il n'y a aucun Paradis,
C'est facile si vous essayez,
Aucun enfer en dessous de nous,
Au dessus de nous seulement le ciel,
Imaginez tous les gens,
Vivant pour aujourd'hui...

Imaginez qu'il n'y a aucun pays,
Ce n'est pas difficile à faire,
Aucune cause pour laquelle tuer ou mourir,
Aucune religion non plus,
Imaginez tous les gens,
Vivant leurs vies dans la paix...

Vous pouvez dire que je suis un rêveur,
Mais je ne suis pas le seul,
J'espère qu'un jour vous nous rejoindrez,
Et que le monde vivra uni

Imaginez aucunes possessions,
Je me demande si vous le pouvez,
Aucun besoin d'avidité ou de faim,
Une fraternité humaine,
Imaginez tous les gens,
Partageant la planète entière...

Vous pouvez dire que je suis un rêveur,
Mais je ne suis pas le seul,
J'espère qu'un jour vous nous rejoindrez,
Et que le monde vivra uni



5 décembre 2010

Pourquoi mettre l’écrit sur un piédestal dans une société multimédia ?

Si la parole, la gestuelle, le dessin (ou la peinture), la musique, le film sont des moyens d’expression parlants et susceptibles d’être porteurs d’émotions, de sentiments, de grâce, ils restent volatiles, imprécis, malcommodes pour l’usage pratique.

La forme écrite du langage est récente dans l’histoire de l’Humanité et toujours moins répandue que la forme parlée. On estime que l’Homo sapiens sapiens parle un langage organisé depuis 100.000 ans, et qu’il n’écrit que depuis 5.000 ans seulement et qu’une majorité d’êtres humains sur Terre communiquent toujours uniquement par la parole.

L’apparition et l’usage durable de l’écrit ne sont donc pas si naturels et si communs qu’on pourrait le penser. Il se révèle comme un outil d’évolution crucial de l’Humanité, sans doute le plus important à ce jour. Il est sa mémoire, le moyen le plus précis, le plus pratique et le plus fiable de transmettre une information, une réflexion, une idée, un témoignage, une argumentation, une règle, un principe, un projet. Il permet en outre dans sa forme artistique de donner du rêve, d’inventer, d’anticiper pour aider à comprendre le monde et la nature humaine. L’écrit contribue le premier à instruire, structurer, réguler, cultiver et civiliser l’humanité.


22 novembre 2010

croire depuis l’enfance que son lot est de subir l’enfermement et de voir par la fenêtre le froid les nuages immuables l’ombre les couleurs grisées… parce qu’il paraît universel et presque éternel et puis sortir de la brume pour déboucher sur l’océan le survoler longtemps dans un ciel azur et soudain sous un soleil levant fulgurant voir apparaître une terre ambrée comme un corps couché sur un doux tapis bleu céruléen moucheté un corps-terre que l’on devine déjà de liberté une terre-corps que certains ont cru stupidement jadis propice à la réclusion alors qu’elle ouvre déjà l’appétit des sens avant de les satisfaire et de s’imposer en finalité de la vie ? un but à poursuivre à atteindre indépassable ? le philosophe exilé a de suite répondu aux questions et ne l’a quittée qu’à contrecœur stupéfait que son espace de proscription soit devenu essentiel et de se résoudre malgré tout à continuer sa destinée intellectuelle qu’il pressentait désormais futile laissant traîner derrière lui quelques portraits et quelques amis de la vieille machine à écrire quelques phrases et paragraphes d’hommages confus que ceux et celles qui prennent le temps de lire ressentent comme des mises en bouche des préludes au concert intime de la voix qui résonne dans les pièces agencées autour de la cour intérieure comme ailleurs sur tout ce qui repose sur cette peau pour guider orienter faire accueil et surprendre exalter assouvir de bocadillos Mama Mia de cerfs-volants colorés multiformes éléphants pieuvres vaches clowns au-dessus de grandes dunes de sable blanc et de la mer chaude de corps nus de vin et de Sangria de rouleaux de vague de promenades portuaires et de l’entendre murmurer même la nuit pour inviter à regarder le ciel et son bouclier d’Orion baissé et le jour revenu se sentir pousser des ailes en croisant la mémoire pétrifiée de l’écrivain dans sa statue majestueuse de spiritualité au pied du cône volcanique brûlé pour escalader plus loin la montagne sacrée interdite où des spirales et des pieds sont gravés depuis des millénaires en indiquant les positions de la Lune et puis voir et sentir et toucher encore sa chair en se faufilant à sa demande dans les replis de sa peau en escaladant ses rondeurs en se prélassant sur ses paumes de mains-plages douces et infinies où elle peut nous caresser à son aise avant de nous inciter subitement à courir éperdus vers un phare vers un cap qui pénètre l’océan loin des routes asphaltées pour assister incrédules à la montée du désir à son va-et-vient grandiose de déferlantes au désaccord superbe de sa jouissance au coït de cette terre et de la mer à leurs spasmes de plaisir qui laissent pantois abasourdis désarticulés avant le retour à l’ombre éblouis pour le reste des jours


17 septembre 2010

Le film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux pose une question idéologique cruciale : les moines trappistes de Tibhirine en Algérie devaient-ils rester dans leur monastère lors des massacres perpétrés par des groupes islamistes armés en 1996, surtout après celui des douze Croates chrétiens égorgés sur un chantier à quelques kilomètres de là ?

On suppose qu’ils se sont réunis quelques fois pour débattre de la question et qu’ils ont fini par prendre la mauvaise décision. On a du mal à croire que ce choix de rester ait fait l’unanimité dès le départ. Il est probable que quelques Frères (ou Pères) souhaitaient quitter les lieux (comme le film le montre) au moins temporairement, aller ailleurs en Afrique ou rentrer en France, ce qui aurait été la solution la plus sage. Ceux-là semblent s’être laissés convaincre par le prieur de la communauté et sans doute le Frère médecin soignant les gens de la région gratuitement depuis cinquante ans (y compris les terroristes).

On imagine le dilemme de ces moines : abandonner le monastère, mais aussi le village avec lequel ils vivaient en harmonie, passer pour des lâches et des sceptiques à l’égard de la protection divine ou faire face au danger dignement et rassurer les habitants terrorisés qui n’avaient pas possibilités de fuir. Ce qui revient à choisir entre la vie et le martyre, le sacrifice au nom d’un idéal absolu, la foi.

La foi ne fait malheureusement pas souvent raison. Le choix du martyre est «beau» mais stupide, ce que le film ne montre pas, car il semble plutôt exalter cette option. On entend, par exemple, ces phrases adressées à un Frère sceptique : le berger n’abandonne pas ses brebis quand le loup arrive, tu as déjà sacrifié ta vie…

Ces moines ont oublié d’accorder priorité absolue à la vie sans laquelle ils ne pourraient croire en Dieu… ils ont oublié qu’ils auraient pu être utiles ailleurs par les services et réconforts dispensés à d’autres ouailles qu’ils ont, somme toute, abandonnées anticipativement.

Leur décision a sans doute été viciée par la conviction que leur situation était associée à celle des villageois. Or, en tant que communauté chrétienne expatriée, elle ne l’était aucunement puisqu’il constituait une cible privilégiée, leur présence représentant même un danger potentiel pour les populations qui les considéraient et les fréquentaient. Un argument qui aurait dû incliné la balance du pour et du contre le départ du bon côté.

Pour en revenir aux faits, selon une thèse officieuse (la plus plausible) ces moines trappistes auraient bel et bien été enlevés par un groupe islamiste armé mais auraient été mitraillés par erreur par un hélicoptère de l’armée alors qu’ils étaient sous tente. Pour éviter la responsabilité de la bavure, l’armée les aurait décapités afin qu’on ne découvre pas la nature de leur mort et aurait attribué cet acte barbare aux fanatiques islamistes. On n’a jamais retrouvé les corps des moines...


14 septembre 2010

À lire et à entendre la piètre défense des prélats face au scandale de pédophilie qui secoue l’Église, l’entêtement à vouloir protéger leur institution et ses acteurs, quels que soient les crimes qu’ils ont commis, on peut se demander si la prière quotidienne n’est pas un facteur d’abrutissement. Invoquer, implorer, louanger, en serinant des textes cent fois répétés à l’occasion des prières personnelles, des messes, baptêmes, communions, funérailles… ne semble pas propice à ouvrir l’esprit sur le monde, à le développer, à le raisonner. Pire, conjuguée au vœu de chasteté, elle favorise sans doute une introversion délétère qui finit par exploser dans des déviances sexuelles puisque cette corporation détient le record de concentration de pédophiles.

Le choix préférentiel du silence, du repli sur soi, ou de proposer uniquement de régler le problème en interne par procès canonique et par la création d’un centre d’accueil pour les victimes au sein même de l’institution est inquiétant. On se serait attendu plutôt à une coopération totale et immédiate avec la justice civile, à l’aveu d’un problème fondamental en annonçant un concile pour remanier la dogmatique de l’Église, en particulier son obligation totalement arbitraire de célibat des prêtres — puisque le vœu de chasteté n’est apparu qu’au 12e siècle et que la Bible conseille plutôt même le mariage des évêques, des diacres… 1 Cor 7.9 : S’ils manquent de maîtrise d’eux-mêmes, qu’ils se marient, car il vaut mieux se marier que de brûler…

Si certains osent encore nier le lien entre l’obligation de célibat et la pédophilie, ils doivent dès lors admettre que c’est la vie spirituelle et le mode de vie qu’elle entraîne qui provoquent cette déviance vu l’énorme proportion de cas révélés, ce qui paraît encore plus grave…

On remarque que les réactions les plus saines émanent de personnalités telles que Guy Gilbert et Gabriel Ringlet, des membres de l’Église qui vivent en marge du magistère, et davantage dans le temporel que dans le spirituel.


7 septembre 2010

Les habituelles tensions entre communautés font resurgir régulièrement dans les médias, tel un argument de poids à charge, la méconnaissance du néerlandais chez les francophones. Ce désintérêt à l’égard de la langue est avancé comme un catalyseur des conflits et mésententes. S’il semble évident qu’il n’aide pas à la conciliation, on peut être certain qu’il ne participe en rien à l’accentuation des divergences.

Si une Flandre désormais largement majoritaire revendique de plus en plus fermement le droit de s’assumer seul, il est certain que cette volonté résulte d’abord d’une lassitude à contribuer trop largement au bien-être d’une communauté considérée comme étrangère bien qu’elle soit non émigrée et faisant partie du même pays. Cette attitude révèle donc une crise identitaire qui prend sans doute sa source dans une frustration linguistique, culturelle, territoriale... entraînant le repli sur soi avec le sentiment croissant d’une menace d’être minoré ou refoulé à terme par l’envahisseur francophone (surtout dans la région bruxelloise).

Dès lors, on peut penser que même si tous les francophones parlaient parfaitement le néerlandais ils n’en seraient pas mieux considérés, ils resteraient des étrangers de culture, de mode de vie, d’état d’esprit. Cette majorité indépendantiste fustige d’ailleurs même les Flamands de pures souches qui se montrent trop ouverts et conciliants.

Les médias s’attardent peu à chercher à comprendre l’inaptitude linguistique du côté francophone, sinon en proposant les explications primaires du manque de volonté, de la négligence ou de l’incapacité intellectuelle (le comble qu’on ait pu entendre de la bouche d’un premier ministre de surcroît).

La motivation joue évidemment un rôle essentiel dans l’apprentissage d’une langue puisqu’il faut lui consacrer des centaines, voir des milliers d’heures pour une connaissance approfondie. Cette motivation n’apparaît que si l’individu y trouve un intérêt relationnel (social), économique (professionnel) et culturel suffisant. Force est donc de supposer qu’un ou plusieurs de ces facteurs sont en déficits du côté francophone. Car on ne peut raisonnablement penser qu’une population est moins courageuse ou intelligente qu’une autre.

On peut sans doute estimer que l’intérêt relationnel n’existe que s’il y a un contact régulier avec des membres de la communauté de langue étrangère (rapports familiaux, amicaux, de loisirs…). Ce facteur paraît n’avoir qu’une valeur facultative de courtoisie et est généralement insuffisant à lui seul pour motiver l’apprentissage d’une langue.

Le facteur professionnel se révèle indispensable pour les emplois de service. Cependant, pour ce qui est du commerce et des affaires, on sait que l’anglais s’impose comme langue véhiculaire internationale et que les francophones préfèrent dès lors apprendre cette langue. La nécessité réelle d’apprendre le néerlandais pour sa profession ne concerne donc qu’une faible minorité de francophones souvent concentrée dans la région bruxelloise.

Du point de vue culturel, les francophones sont évidemment on ne peut mieux servis et desservis avec les chaînes de télévision française captées partout dans leur région, les films de cinéma en version française qui sortent dans leurs salles au même moment sinon plus tôt qu’en France, les pièces de théâtre, concerts, expositions dont les tournées passent en Wallonie et la pléthore de livres qui couvrent les étals des librairies. La motivation culturelle à apprendre le néerlandais est donc quasi nulle, d’autant que le nombre d’écrivains, d’auteurs dramatiques, de réalisateurs, de musiciens néerlandophones jugés dignes d’intérêt est anecdotique en rapport à l’océan culturel français. Et quand bien même certains artistes parviendraient à émerger, ils seraient aussitôt traduits. Seuls la peinture moyenâgeuse, les arts plastiques et le théâtre contemporains (surtout sous forme d’expressions corporelles) attirent épisodiquement l’attention, des expressions artistiques qui n’ont pas recours à la langue…

Même les traditionnels séjours à la mer du Nord ne sont pas pour les Wallons une occasion de s’exercer à la langue néerlandaise puisque la plupart des commerçants les reçoivent en français du fait de leur forte représentation en toutes périodes de l’année sur une bande côtière limitée à une soixantaine de kilomètres à peine.

On pourrait croire que sur le plan du facteur relationnel (motivation à parler la langue de l’autre à l’occasion de rencontres ou de séjours), Flamands et Wallons seraient forcément à égalité. Il existe pourtant une différence importante. On ne peut en effet nier que les richesses touristiques et de loisirs offerts par la France (à laquelle on peu ajouté la Wallonie) sont infiniment supérieures à celles offertes par la Flandre (à laquelle on ajoutera les Pays-Bas). Les néerlandophones sachant qu’ils ont peu de chance de se faire comprendre dans leur langue en France, trouvent une motivation supplémentaire à apprendre le français et à le pratiquer lors de vacances ou de séjours. Les Wallons n’ont pas cette opportunité pour motiver l’apprentissage du néerlandais, car très peu d’entre eux choisissent de les passer dans le plat pays (à l’exception de la côte belge où on parle français).

Une grande différence apparaît également du point de vue professionnel. Il faut en effet rappeler que trois cent mille Flamands travaillent à Bruxelles et occupent des emplois enviables dans une ville habitée à 94 % par des francophones. Ces navetteurs, de ce seul fait, se sentent très incités à apprendre le français. Ils le connaissent la plupart du temps avant d’obtenir un emploi dans la capitale de l’Europe, car celui-ci représente une éventualité que toute la jeunesse flamande prend en compte dans son cursus scolaire. De plus, le voisinage de la cinquième puissance économique mondiale et la deuxième européenne (la France), et le marché qu’elle représente dynamise cet apprentissage.

L’activité culturelle foisonnante de la grande voisine et de sa capitale (Paris) située à moins de trois cents kilomètres de la Flandre parachève l’intérêt de connaître le français pour les Flamands.

Un ensemble de facteurs qui à situation comparable rendrait sans nul doute les Wallons aussi performants au niveau linguistique que les Flamands.

La question de la méconnaissance du néerlandais n’aura sans doute plus aucun sens d’ici quelques mois, quelques années... La volonté d'indépendance de la Flandre amenuisant encore la motivation des francophones à apprendre cette langue, jusqu’à disparition probable de toute stimulation en cas de séparation effective, sauf cas de force majeure…


5 juin 2010

En suspension… création collective autour de la question du bonheur par la troupe «Les Dissipés» au centre culturel d’Amay.

Les créations théâtrales collectives n’ont pas bonne presse, car elles sont souvent l’apanage de troupes d’amateurs réputées subversives, pratiquant un théâtre alternatif qui rejette les modèles établis du théâtre professionnel. Celui-ci préfère en effet diviser les tâches pour des raisons pratiques et promotionnelles, permettant notamment de profiter de la réputation d’un auteur ou d’un metteur en scène pour attirer du public. Ces créations se présentent le plus souvent sous la forme d’une succession de monologues, de sketches, de tableaux… manquant de liant, d’homogénéité, de vision globale… dès lors de force, de style puisqu’elles assemblent les contributions de chacun.

Mais il arrive parfois que certaines ne manquent pas d’air, de tenue… qu’on explique par le choix approprié du thème et bien sûr par la qualité des artistes, le travail habile d’un coordinateur d’idées (et d’expériences), d’un metteur en scène qui parvient à estomper l’hétérogénéité naturelle de ce procédé théâtral. Ce piège structurel évité, la création collective apparaît comme l’essence même du théâtre, comme son expression la plus pure et la plus sincère puisqu’elle permet à chaque comédien d’exprimer à sa manière, sa sensibilité, son vécu, son avis, son expérience en rapport au thème proposé, tout en profitant des avantages du travail en équipe.

Un bonheur donc précieux et fragile mis en lumière d’entrée et tout au long du spectacle par l’issue fatale de toute existence figurée par la présence d’un cercueil. Se souvenir que la mort rôde est sans doute le meilleur dopant du bonheur. Mais malgré cela, on assiste dans la réalité à sa quête laborieuse s’égarant tous azimuts, une quête judicieusement illustrée par un jeu d’acteurs diversifié, de l’expression corporelle, de la chorégraphie, de la musique, des projections… jouant sur le fil de la dérision et de l’absurde.

La projection d’une interview très rationnelle d’un psychothérapeute s’inscrit dans la mémoire du spectateur par contraste. Il apparaît que le bonheur est le plus souvent présent lorsque nous sommes engagés dans une action, un projet, une dynamique, un travail qui nous tient à cœur ; les jours d’inactivité apparaissant dès lors comme un espace potentiel d’ennui, de questionnement inutile sur le sens de la vie… Le scientifique prend pour exemple le tennis. Quand on joue un match de tennis, on n’a généralement pas le temps de penser à autre chose. L’idéal pour en retirer un maximum de bonheur est d’affronter ni un adversaire trop fort, ni un adversaire trop faible (contre lesquels on s’ennuierait) mais un adversaire à notre portée, idéalement un peu plus fort (mais pas trop).

Le spectacle se termine sur une énumération des petits bonheurs de la vie que chaque comédien a sans doute répertoriés dans son quotidien pour ficeler cette métaphore théâtrale assez joliment. Il ressort cependant du spectacle que les créateurs sont peut-être passés à côté du bonheur vrai, du « bonheur de fond », qu’ils ont confondu avec les plaisirs (amoureux, gastronomique, sportif, contemplatif, etc.) qui en font partie, mais de manière supplétive. Ceux-ci ne pouvant être ressentis comme des moments de bonheur que si le «bonheur de fond» est bien présent, un «bonheur de fond» que le spectacle a seulement effleuré (sans le reconnaître) : l’épanouissement personnel, la réalisation de soi.
Le bonheur ne saurait être réel et durable que si l’on a trouvé sa raison de vivre, celle qui nous anime, nous entretient, nous projette dans l’avenir… On ne peut que pardonner cette omission fondamentale au collectif de comédiens-créateurs puisqu’ils ont fait démonstration imparable ce soir de leur «bonheur de fond», sans le savoir…


16 avril 2010

Rétrospectivement, on pourrait croire que l’hôtesse du comptoir d’embarquement était manipulée par des forces obscures pour martyriser un maximum de passagers en les envoyant au terminal C plutôt qu’au D, à l’autre bout de l’aéroport — malgré le voisinage des lettres dans l’alphabet —, les obligeant à faire la file au contrôle d’identité avant d’avoir accès aux moniteurs et de pouvoir contrôler les indications correspondant à leur vol.

La nécessité, dès lors, de repasser le contrôle d’identité dans l’autre sens avant de courir sur les trottoirs roulants ou pas — en fonction de leur encombrement — vers la bonne porte et d’y arriver hors d’haleine juste avant sa fermeture. Une fermeture qui aurait amené ces voyageurs à prendre un avion le lendemain, lendemain où tous les vols sur l’Europe du nord seront « cancelled » pour une durée indéterminée, contraignant ces passagers à un prolongement de séjour incertain au sein même de l’aéroport ou dans des hébergements précaires leur offrant pour tout dédommagements des sensations de «prise d’otages».


15 avril 2010

Platon a forcé la dose. Il n’est pas besoin d’être enchaîné dans une caverne depuis sa naissance et de connaître du monde que des ombres sinistres mouvantes sur les parois rocheuses pour ressentir parfois son existence limitée à un environnement restreint, à une activité précise, à un entourage immuable avec ses contraintes et obligations.

L’être humain semble porter des œillères naturelles qui parfois le rassurent, mais d’autrefois l’accablent au point de lui donner l’impression qu’il n’y a pas d’échappatoire possible. Et pourtant, une multitude d’opportunités est à sa portée, des vies potentielles différentes, des plus discrètes aux plus franches. Mais pour y goûter, il semble qu’un effort «d’écartement» répété soit nécessaire.

Pour les ouvertures les plus discrètes, il suffit parfois de concéder à certaines variations existentielles en prenant exemple sur des personnes proches ou moins proches ; d’évaluer, d’observer, d’imiter pour s’engager dans ces mutations vitales et parvenir à chasser lentement la langueur apparente des jours.

Pour les plus franches, il suffit de prendre l’avion (en aller simple de préférence), de se trouver plonger soudain dans une autre culture ou une autre civilisation à un degré d’évolution distinct et d’y trouver une place, pour assister — à la fois de l’intérieur et de l’extérieur — à une renaissance totale de l’être.

Aussi étrange que cela puisse paraître, l’ouverture la plus efficace peut se trouver les yeux fermés dans les pérégrinations de l’imagination et de l’esprit qui mènent assez sûrement à l’art, ce puissant adjuvant qui incite tôt ou tard à aiguiser ses sens, à se mettre en quête de leur nourriture en écartant définitivement tout obstacle au spectacle du monde.


25 mars 2010

Sursis accordé hier soir à Hank Skinner par la Cour suprême de justice de l’État du Texas aux États-Unis quarante minutes seulement avant son exécution. L’homme a été condamné en 1995 à la peine capitale pour le triple meurtre de sa compagne et de ses deux enfants et attend depuis lors dans le « couloir de la mort ». Il n’y aurait aucune preuve tangible de sa culpabilité et un répit lui aurait été accordé pour satisfaire à la demande de la défense de réaliser des tests ADN pouvant l’innocenter. Des tests qui n’ont pas encore été réalisés 15 ans après les faits !

Plutôt affligeant de voir un appareil judiciaire à ce point laxiste qui s’abaisse en plus à torturer psychologiquement ses justiciables. Étonnant aussi qu’un pays aussi développé techniquement le soit si peu mentalement. Il faut admettre qu’il a conservé sous certains aspects une mentalité de cow-boy…

La Justice est la gardienne de la société et la représentante du degré de son évolution mentale, de son niveau de civilisation. Elle se doit, en tant qu’organe ordonnateur d’un État, de montrer plus de dignité, de noblesse que ceux qui ne respectent pas la vie humaine. Elle doit montrer l’exemple.

Pour les partisans de la loi du Talion, il ne tient qu’à eux de l’appliquer, à leurs risques et périls, en s’exposant à leur tour aux condamnations de la Justice de la société dans laquelle ils vivent, mais ils ne peuvent pas demander à celle-ci de poser cet acte barbare à leur place.

Il est indigne en effet de laisser un être humain, aussi condamnable soit-il, quinze ans en sursis de mort, non seulement pour lui-même, mais aussi pour ses proches (présumés innocents) qui subissent les supplices moraux qu’on imagine.

La famille est avertie par courrier une semaine avant l’exécution. Elle est ensuite informée de la procédure, une vidéo relatant les différentes phases. Le processus dure environ dix minutes. Deux salles d’observation jouxtent la salle d’exécution, une réservée aux proches du condamné, l’autre à ceux de la victime. Cinq journalistes se répartissent dans ces deux salles. Le détenu est sanglé, un microphone est suspendu au-dessus de lui de manière à ce que les témoins puissent entendre ses dernières déclarations diffusées par haut-parleurs.

Après sa déclaration, l’injection létale a lieu par un procédé mécanique. Quinze à vingt secondes plus tard, le buste du détenu se gonfle, le diaphragme compressé retient l’air, il s’ensuit un toussotement qui précède l’arrêt cardiaque. Deux à trois minutes plus tard, un médecin entre, inspecte les organes vitaux et prononce l’heure du décès.

Les témoins sont ensuite escortés dans une autre salle pour un rapide compte-rendu et peuvent assister ensuite à une miniconférence de presse.

À moins d’être un sadique psychopathe, on ne peut que ressentir le côté hypocrite et malsain de cette froide exécution qui tente de revêtir des formes de légalité.

On peut rappeler que Victor Hugo avait déjà ardemment combattu la peine de mort notamment par son livre Le dernier jour du condamné, paru en 1829. Un récit à la première personne du singulier qui met le lecteur en situation et lui permet de vivre la torture morale réelle du sursitaire.

Le grand écrivain, mort en 1885, pensait naïvement que la peine de mort serait abrogée avant la fin de son siècle. Il aura fallu attendre 1981 (et l’élection de François Mitterrand) en France, 1996 en Belgique (mais la dernière exécution a eu lieu en 1950)…

En 2002, trente-six États membres du conseil de l’Europe ont signé un protocole interdisant la peine de mort en toutes circonstances (même en période de conflit armé).


15 mars 2010

Petit accès de fièvre cinématographique en ce début d’année avec une dizaine de films visionnés en deux mois et demi. Il ressort que malgré un choix fondé sur des critiques plutôt favorables (Première, Le Monde, Critikat), le média culturel « cinéma » laisse souvent sur sa faim. Dès lors, l’idée qu’on pourrait se contenter de son goût du grand écran pour nourrir sa culture personnelle est un peu désolante.

Si le cinéma est un formidable vecteur d’émotions grâce aux deux sens majeurs auxquels il s’adresse : la vue et de l’ouïe — en convoquant donc, sur le plan artistique les sens de la narration, de l’esthétique, du dialogue, de la comédie et de l’accompagnement sonore qui font de ses productions des œuvres multiples —, il est très difficile d’en faire des œuvres artistiques entières, totales. Une spécificité qui le relègue sans doute au rang de 7éme art seulement…

Il apparaît que son défaut majeur est la superficialité de tout ce qu’il aborde, dans ses hésitations à traiter en profondeur les problèmes sociétaux (sociaux, économiques, existentiels, anticipatifs, politiques, philosophiques, etc.) de peur de s’écarter des goûts du grand public — et des impératifs d’exploitation —, et dans ses démonstrations de sentiments et d’émotions cherchant le pathétisme à tout crin dont le spectateur finit par ressentir l’artificialité.

Avatar de James Cameron sauve son scénario simpliste par ses effets spéciaux très réussis et la beauté de ses images.

Capitalisme : a love story de Michael Moore dénonce de manière basique, sur le mode du documentaire, l’exploitation des pauvres et moins pauvres par les plus riches, et appelle à la révolte !

M. Nobody de Jacko Van Dormael tourne à la confusion à force de vouloir faire œuvre finaude en évoquant les multiples voies que l’existence de ses protagonistes aurait pu emprunter...

La route de John Hillcoat a des airs de déjà vu avec son odyssée d’un père et son fils à travers des contrées atomisées. Un catastrophisme primaire qui anéantit et n’atteint donc pas son but.

Gainsbourg (une vie héroïque) de Joann Sfar oublie de mettre en valeur la spécificité du talent d’un artiste qui bouleversa la chanson française pour s’attacher de manière superflue à sa personnalité et ses aventures sentimentales.

Vincere de Marco Bellocchio raconte la carrière de Mussolini en s’attachant surtout à sa relation avec la femme — qui lui a sacrifié sa fortune — et à son enfant qu’il a toujours désavoué. L’orgueil démesuré du Duce, relevant de la psychopathie, transparaît surtout au travers les extraits de discours réels et les problèmes psychologiques héréditaires (?) de ce fils adultérin placé en institution.

Shutter Island de Martin Scorsese nous plonge dans une enquête menée par un inspecteur de police perturbé à la suite d’un drame familial et met habilement le spectateur en situation de déséquilibre mental... Le réalisateur s’est cru obligé de saupoudrer le tout de fausses pistes et digressions superflues. Ou l’art de raturer une belle oeuvre…

La régate de Bernard Bellefroid démonte adroitement — malgré un scénario un peu convenu — la relation de violence entre un père et son fils qui trouve une échappatoire dans l’aviron. Le film aboutit, comme de juste, à un encouragement à fuir la personne qui martyrise.

L’autre Dumas de Safy Nebbou donne un aperçu de la vie dissipée d’Alexandre Dumas qui n’en ressort pas grandi, car on finit par se demander s’il a finalement écrit un seul de ses livres. Le film se fonde sur la méprise d’une jeune femme qui prend Auguste Maquet pour Dumas ce qui le fait évoluer vers un vaudeville alors qu’il aurait été intéressant de s’attacher à la genèse des œuvres et au rapport entre les deux écrivains et à leur manière de travailler.


The ghost writer de Roman Polanski recueille sans doute les faveurs de la critique en raison de l’actualité de son réalisateur, car son thriller politique est un peu lent et assez invraisemblable. Il débouche sur une révélation grossière visant l’ex-premier ministre britannique qui ne doit pas en offusquer beaucoup au pays puisqu’il représente la majorité d’une population proaméricaine de notoriété. Le très charismatique premier ministre n’avait de toute évidence pas besoin de manigances secrètes pour satisfaire aux désidératas des États-Unis.


13 mars 2010

Lecture : Le boulevard périphérique d’Henry Bauchau. Ce roman semble être le fruit de la frustration d’un écrivain empêché d’écrire à cause des visites quotidiennes qu’il rend à sa belle-fille atteinte d’un cancer et hospitalisée à l’autre bout de la ville. Il donne l’impression d’avoir cherché matière à écriture dans ces trajets interminables (sur le périphérique) et la situation vécue, pour l’aider à combler la vacuité apparente de ces moments accablants.

Il en ressort un livre proche du journal où il nous livre son ressenti, nous décrit le milieu hospitalier, les sentiments et comportements de l’entourage. L’auteur insère dans ce compte-rendu les souvenirs personnels d’un ami tué 36 ans auparavant par un officier SS (la naissance de cette amitié grâce à l’escalade en duo, les circonstances de la guerre qui les ont séparés, les faits de la Résistance, enfin les circonstances de sa mort). L’auteur passe donc de manière plus ou moins alternée du présent (la fin de vie de sa belle-fille en milieu hospitalier) à l’imparfait (le souvenir de son ami et de la dernière guerre).

Cette mise en « parallèles » paraît plutôt insolite. Si ce n’est l’issue fatale commune vers laquelle les deux protagonistes se dirigent, l’un dans le présent — victime d’une maladie grave —, l’autre dans le passé — jouet de la répression nazie et d’un règlement de compte personnel : on ne voit pas où l’auteur veut en venir. Les deux narrations entremêlées ne se complètent ni ne se renforcent.

Si le style est alerte, imagé, les métaphores sont surabondantes et frôlent l’exubérance tandis que les digressions philosophico-poétiques finissent par donner un effet inverse à celui qu’elles recherchent.

La profession de psychothérapeute de l’auteur se ressent dans sa tendance à verser dans l’analyse psychanalytique notamment des rapports entre la victime et son bourreau. Mais cette analyse se révèle un peu confuse, obscure, bancale, superficielle, sans portée concrète… Il est considéré, par exemple, qu’une victime peut être estimée vainqueur d’un « duel » de personnalités avec son bourreau parce qu’elle a eu un geste de beauté au moment de son exécution. On se console comme on peut.

La conclusion du roman, amenée comme si elle devait constituer une vérité retentissante, est révélatrice de cette superficialité du discours, du manque de fond derrière la forme séduisante : « … ayant vu ce que je n’ai pas su voir, ils me forcent à comprendre qu’elle était, qu’elle est un être mystérieusement éveillé à sa condition mortelle ».
…à croire que l’auteur vient de découvrir à 95 ans que la vie n’est pas éternelle.

Mais un livre à lire tout de même pour sa compassion contenue.


15 février 2010

Petites réflexions ou attitudes arrogantes, culpabilisatrices, infériorisantes, faussement voilées de menaces, exprimées gratuitement par préjugés, par a priori, par rôle... suffisent le plus souvent à juger et à classer définitivement ou presque un être humain.

On remarque que ces manières d’être caractérisent surtout les prétentieux de nature, les ambitieux, les omniscients, les dirigistes de métier, les gradés... Ceux-là croient sans doute que leurs observations, commentaires, gesticulations, mises au point s’adressent à des insignifiants, des plantes, des galets sans cerveau, sans émotions, sans mémoire qu’il suffit de faire rouler.

Leur nature, leurs convictions ou leurs habitudes les aveuglent, étouffent leur intelligence au point de ne pas réaliser qu’à chacune de leurs interventions ils se plantent une banderille dans le dos (ou ailleurs) sur le ruban de laquelle s’inscrivent en lettres étincelantes ces avertissements à leur entourage : à éviter, à ignorer, à refouler, à torpiller de préférence...


11 février 2010

Une envie de dire aux patrons qui s’inquiéteraient de la productivité de leurs employés qu’ils se tranquillisent, que leurs salariés chichement calculés sont de mieux en mieux encagés et que ceux-ci continuent à faire tourner la roue malgré le manque d’échelons.


4 février 2010

Neuf jours après l’explosion, les bâtiments aux limites de la zone sécurisée (une centaine de mètres) viennent enfin d’être rendu à leurs propriétaires, locataires et commerçants. Ceux-ci les ont retrouvés pour la plupart délabrés, souillés par les débris, les intempéries et la poussière puisque les vitres soufflées les ont laissés ouverts à tous vents.

On s’étonnera une fois de plus du contraste entre la rigueur des précautions prises après une catastrophe — zone de sécurité étendue et prolongée dans le temps (9 jours), dissimulation des dégâts derrière des barrières bâchées (à l'aspect bricolées), refoulement des personnes (même concernées au premier chef) et des appareils photos et caméras officielles (même après évacuation des victimes mais on demandera néanmoins au public d’être sensibilisé) — et la légèreté des contrôles des équipements et de la salubrité avant qu’elle se produise.

En effet, la compagnie du gaz, appelée trois jours avant le drame en raison de fortes odeurs, a vérifié ses installations et a quitté les lieux sans se poser d’autres questions... Les médias semblent éluder depuis plusieurs jours toutes interrogations sur la cause de cette explosion qui n’est peut-être pas accidentelle. Afin d’en éviter une autre, il y aurait pourtant urgence à la connaître au plus vite, vu le bilan : 14 morts, une vingtaine de blessés, deux immeubles de cinq étages effondrés et tout un quartier sinistré. L’enquête s’annonce difficile puisqu’on a fait table rase des deux immeubles concernés…

Si les autorités et les médias ne cessent de louer le courage des sapeurs-pompiers pour tenter de sauver les victimes coincées sous les débris, ils ne s’étonnent pas des faibles moyens matériels dont ils disposent pour améliorer la rapidité de déblaiement et d’excavation. À l’heure où grâce à des machines de chantier puissantes et sophistiquées on accomplit des prouesses architecturales et techniques (gratte-ciel de plus de 800 mètres de haut, tunnel sous la mer, gares pharaoniques, etc.), il faut plusieurs jours aux secours pour dégager des corps sous quelques mètres de décombres.

Il est difficile d’admettre qu’on ne soit pas parvenu à dégager des personnes qui ont communiqué oralement plus de 10 heures (!) avec les sauveteurs, qui — se sacrifiant — les ont orientés d’abord vers une autre victime âgée de 12 ans (qu’ils connaissaient) et qu’ils ont soutenue moralement. S’il n’existe aucun engin approprié au déblaiement des débris résultant d’une explosion (d’un accident ou d’un séisme), il reste à inventer. Mais cette invention qu’on emploierait à sauver des vies prendra sans doute plus de temps que celles qui produisent un intérêt immédiat plus palpable...

En attendant, il serait peut-être judicieux de doter le corps des sapeurs-pompiers d’un grappin d’excavation qui pourrait entrer en action dès que l’incendie serait sous contrôle, on gagnerait ainsi des heures précieuses pour éviter autant que possible de laisser agoniser des gens à petit feu dans les gravats.


17 janvier 2010

Vision partielle de Controverse sur RTL-TVI ce midi où il s’agissait de débattre de l’image joviale, licencieuse et éventuellement sarcastique du ministre fédéral des Pensions. Une émission à laquelle l’homme politique a accepté avec courage de participer sachant qu’il serait amené à se défendre seul face aux autres invités. Le plateau s’apparentant pour un tel sujet — discutable d’un point de vue journalistique puisqu’il satisfait surtout à des critères d’audimat — à un tribunal.

L’homme politique a en effet offusqué l’autre communauté linguistique qui ne l’avait pas encore vu dans ses œuvres d’interventions publiques. Il aurait voulu se montrer courtois en faisant l’effort de s’exprimer à la tribune du sénat dans la langue des citoyens de cette partie du pays dont il est aussi chargé des pensions — un sujet très sérieux. Cette civilité ne semble pas avoir été appréciée puisque le parti d’opposition de cette communauté a demandé sa démission après quarante-huit heures de réflexion... Il est vrai que, de toute évidence, l’homme avait abusé d’un expédient pour se donner du courage comme à bien d’autres occasions.

Les critiques se portèrent surtout sur la mise en spectacle des hommes politiques dans les émissions de variétés, jeux, talk-show, etc. Un temps d’antenne qu’il serait effectivement plus intéressant de consacrer à un bilan précis de l’action de ces comédiens mandatés. Les arguments ad hominem ne furent finalement pas trop sévères à l’exception de celles du dernier intervenant, Directeur du bureau bruxellois de Radio France, qui n’avait pas dit un mot jusque-là et qui a bassement relevé un défaut psychomoteur, conseillant à notre ministre de faire appel à un orthophoniste.

Une intervention très courte qui révèle une personnalité et laisse deviner la méthode de gestion du bureau de Radio France à Bruxelles. Une radio qu’on entend peu et qu’entendra sans doute de moins en moins.


5 janvier 2009

Emission sur Albert Camus hier soir sur Arte à l’occasion du 50ème anniversaire de sa mort. J’entends un commentateur de son œuvre dire que l’écrivain travaillait par thème, composant des triptyques constitués d’un roman, d’un essai et d’une pièce de théâtre. Ainsi l’absurde est traité dans L’Etranger, Le mythe de Sisyphe et Caligula, et la révolte dans La peste, L’homme révolté et Les justes.

Des œuvres qui dans le premier sujet cherchent à nous montrer que la clé du bonheur se trouve dans la prise de conscience de l’absurdité de la vie et dans la pratique de l’activité qu’on a choisie plus que dans son but ou sa signification. Celles du second sujet nous expliquent que la révolte naît spontanément dès que quelque chose d’humain est nié ou opprimé par la servitude, la tyrannie…

Ces deux thèmes m’apparaissent contradictoires car la révolte permettant de sortir de sa condition nécessite un engagement total qui ne saurait être effectif si on juge la vie absurde. En effet, si tout est absurde à quoi bon se révolter…

Camus a dit tirer sa révolte, sa passion et sa liberté de l’absurde… C’est dès lors que l’absurde n’est pas si absurde que cela, ou alors qu’il n’y croyait peut-être pas tout à fait ou se trompait sur sa portée universelle.

«La révolte est le fait de l’homme informé, qui possède la conscience de ses droits» a-t-il dit. Un homme informé d’absurdités… et conscient de ses droits absurdes… ?

Une démonstration que l’exploitation d’un thème - induit ou greffé - a surtout pour objectif de donner une apparence de profondeur à des oeuvres qui en réalité se heurtent en la sondant.