La rubrique «Journal» rassemble articles, réponses aux sollicitations, impressions, commentaires, et improvisations (à chaud) sur des faits vécus ou d’actualité.
3 décembre 2009
En sortant du bureau sur mon temps de midi, je suis amené à suivre, par hasard, dans la rue, une personne que je connais de vue et dont je crois savoir qu’elle travaille dans une école voisine. Je me trouve à une dizaine de mètres derrière elle, lorsque me vient l’intime conviction qu’elle se rend au même endroit que moi : une grande papeterie du centre ville.
Son pas rapide la maintient à distance. En débouchant sur le grand boulevard, elle se dirige vers le passage pour piéton ce qui n’infirme pas mon intuition puisque je prends la même direction. Le feu rouge la retient quelques secondes et je refais une partie de mon retard.
Elle repart d’un pas diligent quand le feu passe au vert. Je ne cherche pas à savoir si ma prémonition se réalisera et je la perds de vue sur le large terre-plein central. Je traverse la seconde avenue du boulevard, m’engage dans une autre qui lui est perpendiculaire puis dans la rue où se trouve la papeterie. C’est à cet instant que je retrouve cette personne quelques mètres seulement devant moi alors que nous avons emprunté des chemins différents.
Cette fois, je ne la quitte plus des yeux et la voit pénétrer dans la papeterie. Je pousse la porte du magasin quelques secondes seulement après elle, mais sans plus l’apercevoir. L’espace commercial est profond, pourvu de hauts rayonnages et de pièces contiguës ce qui explique peut-être sa disparition. Je vaque à mes achats et ne la croise à aucun moment.
Quelques heures plus tard, je reviens sur ce curieux pressentiment d’un événement futur qui s’est confirmé sous mes yeux et que j’ai pourtant presque aussitôt oublié, le classant au rang des concours de circonstances et coïncidences anodines qui jalonnent nos vies au point d’en devenir banales.
Et pourtant, on peut imaginer combien cette faculté de deviner les intentions d’autrui en tous lieux et à toutes heures modifierait en profondeur la nature humaine, combien elle révolutionnerait le comportement de l’homme.
En effet, on peut estimer que la recherche de compréhension des intentions d’autrui à l’échelle individuelle, collective et civilisationnelle est un facteur d’inquiétude et d’insécurité majeur, à la source de toutes les haines et conflits.
Cette prescience naturelle saperait toutes les attitudes hypocrites, soupçonneuses et hostiles, mais interdirait toute vie privée et limiterait notre liberté, celle-ci ne prenant vraiment sa pleine mesure qu’en dépassant la définition qu’en donne Montesquieu : La liberté est le pouvoir de faire tout ce que les lois permettent; c’est-à-dire en sachant qu’il nous est loisible de les enfreindre tout de même, à nos risques et périls.
Cette faculté de reconnaître l’intention d’un acte amoral, malveillant ou hors-la-loi à chaque instant et donc d’empêcher qu’il survienne restreindrait assurément le concept de liberté. Heureusement, l’ironie de l’intuition est d’être elle-même imprédictible. Elle continue à échapper au rationnel, au contrôle et à la planification.
24 novembre 2009
Il faudrait désormais la surface d’une Terre et demi pour produire les ressources que l’Humanité consomme en un an si l’écosystème était exploité de manière durable, titre le site lemonde.fr (Ou plus significativement : il faudrait la surface d’une Terre et demi pour que la planète supporte la charge de l’Humanité sans dommages).
Cette évaluation est fondée sur «l’empreinte écologique», concept créé pour traduire l’impact des activités humaines sur l’environnement. «L’empreinte» est mesurée en «hectare global» (son unité) et correspond à la surface nécessaire au mode de vie d’une personne pour produire les biens qu’elle consomme (pour son alimentation, son habitat, son transport, son plaisir…) et absorber ses déchets (CO2 compris).
La moyenne mondiale de l’empreinte écologique était en 2006 de 2,23 hectares par personne alors que celle disponible était de 1,8 hectare par personne (superficie qui n’inclut évidemment pas les terres improductives : sommets de montagne, glaciers, déserts…). La moyenne est de 9,4 hectares en Amérique du Nord et de 4,8 dans l’Union Européenne ! Celle de l’Asie, qui représente près de deux tiers de la population mondiale, étant pour l’instant de 1,3 hectare (mais pour l’instant seulement). Ces chiffres sont évidemment en constante évolution, puisqu’il faut compter avec une croissance démographique galopante de 221.000 habitants supplémentaires par jour sur notre planète (365.000 naissances pour 144.000 décès par jour en 2007 !)
Cet indice fait donc apparaître clairement que le mode de vie occidental se mondialisant (ou non) mène notre planète à la dévastation et la rendra bientôt invivable. Le système économique des régions les plus riches dont le principe est d’accroître toujours les richesses, en encourageant une consommation croissante, se révèle diabolique puisque les agréments clinquants qu’il offre (aux mieux placés) sont pernicieux.
Difficile pour le citoyen de ces pays développés d’admettre que l’activité rituelle et effrénée à laquelle il se livre tous les jours, le plus souvent sans plaisir et sous la contrainte, pour pouvoir bénéficier du confort et de la distraction ambiante, est suicidaire dans son optique actuelle. Comment imaginer que le sacro-saint «travail», de huit heures par jour (et si possible plus) auréolé de tant de bienfaits, de grandeur morale, de respect… donnant seul accès au statut social minimum indispensable — en considérant que les rentiers travaillent —, puisse dans la majorité des cas être néfaste en fin de compte.
Et quand bien même ce citoyen prendrait conscience du danger de sa participation au sabordage planifié, que peut-il faire sans se mettre en difficulté ? Mis à part les petites préventions écologiques d’usage exigeant une éthique personnelle pénible et frustrante puisque anodine au regard des déprédations produites par le système, il ne peut que se préparer et préparer les générations futures à un autre mode de vie, une autre conception de l’économie, un autre principe moteur que celui de la quête de richesses matérielles... enfin et surtout à voir venir des catastrophes écologiques qui, seules, seront capables de contraindre les promoteurs du libre marché de manier leurs leviers financiers au profit de la planète avant le leur.
Ce ne sera sans doute qu’à cette condition que le citoyen lambda trouvera enfin à sa disposition des moyens lui permettant de vivre, de travailler, de s’épanouir sans porter préjudice à son milieu.
6 novembre 2009
Heureuse initiative journalistique ce soir. On a cité au journal télévisé le lieu de fabrication des armes qui ont été utilisées dans la tuerie de la base militaire de Fort Hood (13 tués et 30 blessés) aux Etats-Unis. Une révélation toujours inconfortable pour l’entreprise et le personnel qui les ont fabriquées, et pour la région et le pays qui en ont autorisé la vente.
On peut nier, à bon droit, toutes responsabilités lorsque le produit est détourné de son usage initial (un véhicule, un outil, un médicament, etc.) mais difficilement lorsque sa fonction est bel et bien de tuer, de blesser… et qu’on se trouve devant le fait accompli. On répliquera que si on n’avait pas utilisé cette arme-là on en aurait utilisé une autre… Mais l’argument est invalide puisque si on la trouvée c’est que le fabricant a fait en sorte qu’on la trouve et qu’il ne demanderait pas mieux qu’on ne trouve qu’elle sur le marché.
Il reste que le monde est dangereux et que des armes sont nécessaires pour se défendre. La question éthique de la vente d’armes repose donc sur l’utilisation que l’acheteur prévoit d’en faire : équiper des hommes et des armées à visées belliqueuses et conquérantes, ou tenir en respect et refouler des agresseurs, ou protéger des biens et des intérêts réels ou potentiels…
Dans ce dernier cas de figure il faut juger de la légitimité du bénéfice de ces intérêts.
Les limites de l’éthique du commerce des armes demandent donc souvent enquête sérieuse avant d’être fixées.
10 septembre 2009
J’aime entrer de temps à autre dans la cathédrale pendant le (court) temps de midi dont je dispose. Son atmosphère moyenâgeuse et silencieuse apaise du bruit de la ville, de la routine des obligations, des pesanteurs de l’activité professionnelle, du terre à terre, du rationnel… C’est à chaque fois une plongée étonnante et éphémère dans un autre monde, une incursion dans un autre temps…
Je m’y suis rendu aujourd’hui avec l’intention d’examiner dans le cloître le détail de certains monuments funéraires mais je fus surpris d’y trouver une exposition de photographies (montée sur grillages) du club de l’U3A (Université du 3ème âge), une dénomination peu élégante que les membres (de cette section) ont avantageusement modifiée en PhotoClub universitaire Image. J’ai donc reporté à plus tard mon projet pour profiter des œuvres présentées.
La sensibilité et le talent sont décidément partout dès qu’ils trouvent des conditions favorables pour s’exprimer. Beaucoup de ces photographes de ce troisième âge auraient certainement pu faire une carrière de photographe professionnel !
La photographie artistique (c’est-à-dire celle dont le but n’est pas d’informer, de dénoncer ou de se souvenir) dénote la sensibilité contemplative de ceux qui la pratique, elle relève la beauté du monde dans tous ses aspects et à toutes les échelles, souligne son omniprésence pour autant qu’on soit capable de la discerner. La démonstration est tellement convaincante qu’on en vient à se demander s’il est possible que cette beauté ne résulte que du hasard. Une question dont la réponse risque d’être orientée par le lieu même de l’exposition.
Ainsi s’explique sans doute ce soutien exceptionnel du Doyen du Chapitre de la cathédrale pour cette seule exposition montée annuellement en ce magnifique cloître gothique datant du 15ème et 16ème siècle...
9 septembre 2009
J’ai donc sacrifié ce journal six mois pour me consacrer entièrement à la réécriture du manuscrit de mon premier roman. Je l’avais pourtant considéré comme achevé, après avoir sollicité plusieurs lecteurs pour récolter des avis et commentaires critiques... Ceux-ci ayant été globalement positifs, j’avais procédé à quelques petites corrections et j’en étais resté là.
Je me suis donc décidé à le relire au mois de mars après l’avoir laissé de côté le temps d’une gestation. Au cours de cette période (à laquelle s’ajoute ces six derniers mois), j’ai lu une bonne trentaine de livres qui ont sans doute dû changer mon point de vue, aiguisé mon sens critique. Car après avoir relu mon roman sur la lancée des autres, je l’ai trouvé perfectible sur le fond et dans la forme. Intrigue imparfaite, lourdeurs, passages obscurs ou superflus, défauts de langage, imprécisions, pléonasmes, répétitions, assonances intempestives… se sont dévoilés plus clairement.
J’en tire comme leçon qu’un éloignement (prolongé) du manuscrit est indispensable pour juger de la qualité d’un écrit qu’on souhaite élever au rang d’œuvre d’art. En effet, ce recul permet (presque) de le reconsidérer comme un roman - publié - écrit par un autre. Mon degré de vigilance et de sévérité semble en effet s’être élevé spontanément.
Au registre des corrections, je suis revenu sur l’idée de vouloir décrire trop finement les idées, sentiments, situations, paysages… Certains passages me sont apparus trop subtils, superflus, déplacés, inutilement compliqués… J’ai donc souvent abrégé ces démonstrations pour laisser une interprétation plus libre au lecteur… J’ai constaté que la recherche délibérée de l’originalité est une erreur, car elle doit s’imposer spontanément. Finalement il apparaît qu’écrire «juste», avec clarté, concision, précision, en évitant les truismes, les banalités… reste la difficulté principale.
La correction d’un manuscrit est un travail de bénédictin. Il faut réévaluer chaque idée et chaque phrase d’un point de vue «local» mais aussi «global». Une expression peut-être précise, claire et correcte mais malvenue par rapport à ce qui précède ou ce qui suit, à la forme générale, au climat de l’œuvre. Il faut donc trouver la forme la plus adaptée en tenant compte d’un grand nombre de paramètres. Bref, des mois de travail, de relectures et de réajustements…
On peut supposer que certains écrivains chevronnés parviennent à abréger ce temps consacré à la correction puisque certains publient un livre par an. Il faut tenir compte que ceux-là peuvent s’y consacrer à plein-temps, sans leur dénier le talent et l’expérience qui leur permettent d’écrire un premier jet de grande qualité. Mais la comparaison n’est pas de mise puisque je n’ai pas, pour ma part, de contrainte de production et travaille donc sans empressement, envisageant cette activité comme un plaisir, celui de pousser aussi loin que possible le soin porté à l’écriture.
Il reste qu’une part de la motivation de ce travail réside dans le fait de lui donner une chance d’être publié. Devant l’afflux des manuscrits, certains éditeurs dénigrent ceux qui les proposent. Cette réaction ne se justifie que lorsque l’écrivain a des motivations déplacées (recherche de reconnaissance, assouvissement d’orgueil), certainement pas quand il cherche à apporter quelque chose à la société, à l’enrichir de son point de vue.
Pour faire un parallèle avec la peinture, un écrivain qui n’est pas publié équivaut à un peintre qui n’est pas exposé. Ce qui signifie que son travail ne pourra être connu, reconnu, considérée en tant qu’œuvre, car elle ne sera pas partagée. L’artiste dont le travail n’est pas montré, diffusé correctement est condamné quel que soit son talent. On remarquera que la considération, le respect et l’intérêt qu’on lui accordera, dans l’éventualité où quelques personnes prendraient tout de même connaissance de son travail, seront toujours superflus, limités et fugitifs… car il lui manquera la caution d’une maison d’édition ou d’une galerie c’est-à-dire la possibilité de l’appréciation du grand public pour le rendre crédible. Dans ces circonstances, la situation de l’artiste ressemble à celle d’une plante privée de lumière…
18 mars 2009
Ce qu’on attendait du chanteur était au rendez-vous hier soir. Comme à chaque rencontre, il a fait en sorte d’être au mieux de sa forme pour appeler l’inspiration et la transporter. Il sait que la meilleure façon de l’attirer est d’être entier, naturel, et ouvert. Costume sombre de flanelle sur une chemise blanche à col ouvert, assis à son piano ou debout seul avec son micro se donnant sans complaisance à son faisceau de lumière.
Il est venu pour remplir sa tâche aussi bien qu’il peut, une tâche qui lui est assignée depuis quarante ans maintenant, un devoir qu’il a désormais intégré et dont il ne laisse rien paraître, un «métier» qu’il tient en haute estime et qu’il veut honorer : chanter.
Le mouvement le plus souvent mesuré et posé, il palpe l’espace de ses doigts effilés pour animer l’obscurité d’élans poétiques, se raffermissant parfois au gré d’une mélodie plus vigoureuse ou s’amusant d’une autre plus légère mais sans jamais laisser s’évaporer le champ d’ondes magiques qui ne se crée que dans l’alchimie précieuse d’une certaine musique et de certains mots.
Le pôle magnétique : c’est lui. Son public qui l’a bien compris le voit d’ailleurs scintiller de mille flammèches invisibles et connaît depuis longtemps l’effet envoûtant qu’il produit dans la salle. Cet effet il le qualifie d’un seul mot : le charme*.
*... jadis le charme était une mélodie capable (...) de changer les phénomènes visibles de la nature : c'était le carmen des latins, l'ἀοιδή des Grecs, la formule du Zammaru assyrien.
J. COMBARIEU, La Musique et la Magie., 1910, p. 106.
16 mars 2009
Discussion détonante la nuit dernière avec un ami médecin sur la crise économique, la dépréciation des salaires et les difficultés de plus en plus grande pour certaines personnes de boucler les fins de mois même lorsqu’elles ont un emploi. Selon mon contradicteur, il faut relativiser ces difficultés… On ne vivrait pas si mal dans notre pays par rapport à d’autres... Le problème selon lui est que «notre société crée des besoins», phrase qu’il se plût à répéter comme un leitmotiv et de laisser supposer que les gens n’ont de cesse de les assouvir.
Si on ne peut pas nier, en effet, que notre système économique néolibéral est dans la nécessité permanente de «créer des besoins» pour prospérer, un emballement pervers que j’ai pris à partie il y a plus de dix ans au travers une exposition que j’avais intitulée L’envoûtante légèreté. Son objet était à l’époque de dénoncer la superfluité des produits de luxe, des excès de la mode, des gadgets, des strass et des paillettes… pour en conclure à l’aune du divertissement pascalien que l’être humain néglige de plus en plus sa vie intérieure pour « s’oublier » dans les apparences et la légèreté.
L’argument de l’artificialité des besoins semble pour le moins extrapolé par mon interlocuteur pour estimer que les gens n’ont pas à se plaindre et devraient pouvoir se satisfaire de beaucoup moins sinon de presque rien. Il assimile avec désinvolture les besoins réels aux besoins artificiels estimant à tort les premières nécessités (logement, eau, chauffage, électricité, habillement, nourriture) assurées par la sécurité sociale. Celles-ci, même si elles étaient garanties, permettraient certes de «survivre» mais n’offriraient pas une vie digne dans le contexte de notre société (le contexte d’autres régions du monde ne pouvant être comparé au nôtre).
L’intérêt de la vie commence évidemment au-delà de la satisfaction des besoins élémentaires, un stade que l’on avait à peu près dépassé en Occident et dans quelques autres parties du monde. Sans céder à L’envoûtante légèreté, des moyens sont devenus indispensables dans notre société pour trouver sa raison de vivre, s’assurer un minimum de confort, de bien-être, de détente, de vie sociale et culturelle. Ceux-ci assurent la viabilité du système, évitent les souffrances de la frustration par comparaison aux nantis, permettent de supporter les contraintes du stress et de la fatigue morale, ouvrent et enrichissent l’esprit au contact des autres et des œuvres artistiques...
Le pari est lancé que mon contradicteur se limitera à une somme de deux mille euros (ce qui est déjà beaucoup…) pour faire vivre sa famille (dont deux adolescents) le mois prochain… Il n’en souffrira pas selon lui… On peut peut-être le croire si la mesure n’est effective qu’un mois et encore car il a la charge d’une grosse maison et de deux voitures, l’habitude de partir en voyage au moins quatre fois par an, apprécie le gastronomie et joue au tennis…
15 mars 2009
La peinture n’était pas qu’un art silencieux hier soir au Mamac (Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain). Les oeuvres de Chagall, Monet, Gauguin, Pissaro, Ensor, Utrillo, Van Dongen, Permeke, Kokoschka, Signac, Franz Marc, Khnopff... qui entouraient le piano à queue (Steinway & Sons) de près ou d’un peu plus loin rendaient un écho visuel loquace aux vibrations sonores harmonieuses de ses cordes. Mozart, Schumann, Chopin et Messiaen auraient-ils jamais imaginé pouvoir faire mieux entendre la peinture ?
Il aura fallu, il est vrai, une rencontre de circonstances fortuites, celle de la prestance d’un bâtiment néo-classique construit pour l’exposition universelle de 1905 au milieu d’un parc bordé d’eau, celle d’une collection prestigieuse acquise avec opportunité à la veille de la dernière guerre, et celle d’une grande pianiste capable de jouer sur tous les registres de l’émotion ces grands compositeurs...
La maîtrise technique d’Isabelle Landenne pourrait passer pour naturelle. L’assimilation parfaite de ces partitions classiques lui laisse toute liberté pour les colorer de sensations inédites et leur donner des vies nouvelles. Douceur, ardeur, tragédie, fantaisie, espoir, désespoir… s’égrènent ou s’embrasent en contrepoint pour étayer la conviction de Beethoven : la musique est une joie à travers la souffrance (Durch leiden freude).
Ordre, mesures et rythmes fidèles ont donc été aisément sublimés pour traduire ce langage de l’âme seul vrai motif de la grande musique, s’unissant ainsi pour un soir à celui de la peinture dans les transcendances oscillatoires de l’air et de la lumière.
13 mars 2009
Les tueries se multiplient dans les écoles de différents pays, la dernière vient de faire 15 morts en Allemagne. Des psychiatres, psychologues, pédagogues et autres policiers sont invités à tenter d’expliquer ces carnages aux journaux télévisés ou dans des débats. Ils y parlent généralement d’introversion, de difficultés relationnelles, de problèmes familiaux, d’assuétude à des jeux vidéos violents, de psychopathie, de drogues, d’effets secondaires de médicament, etc.
Des commentaires qui ne sont sans doute pas dénués d’intérêt et pas toujours déplacés mais parmi lesquels on ne trouve jamais un soupçon de remise en cause du système scolaire. Les meurtriers sont pourtant pour la plupart d’anciens élèves des établissements auxquels ils s’attaquent. Ceux-ci ou ce qu’ils symbolisent (le système scolaire) ont donc une responsabilité majeure dans ces drames. Or on constate qu’aucun journaliste n’a eu l’idée d’inviter des élèves ou d’anciens élèves ayant connu des difficultés dans ces écoles ou dans d’autres (renvois et/ou redoublements répétés) pour livrer leur sentiment et leur état d’esprit par rapport à cette institution. On imagine sans difficulté qu’ils l’exècrent, qu’ils s’y sentent ou s’y sont sentis opprimés, dévalorisés, humiliés (on connaît l’esprit culpabilisateur et railleur de certains professeurs).
On dirait que les autorités pédagogiques refusent de voir et d’admettre qu’un certain nombre d’adolescents ne pourra jamais s’adapter au système scolaire tel qu’il est. Cours austères et impersonnels, prescriptions d’études de matières abstraites sans intérêt apparent, évaluations et comparaisons, sanctions par le redoublement et mesures disciplinaires… jalonnent le parcours scolaire habituel de ces jeunes sans aucune perspective d’aboutissement favorable à leurs yeux.
La désinvolture, l’effronterie, la confrontation verbale sont souvent les réactions observées mais qui peuvent sans doute aller beaucoup plus loin quand viennent s’ajouter d’autres facteurs négatifs cités plus haut. Il faut remarquer qu’à l’école comme ailleurs on sous-estime la sensibilité de l’être humain. On oublie trop souvent que l’adolescence est un âge critique de la vie qui oriente toute la suite de l’existence. Cette volonté d’imposer par la brimade, la sanction, la dévaluation a un impact difficilement mesurable car il demeure sournois. Mais on finit toujours par s’étonner de son influence sur le comportement ultérieur et la personnalité de ceux qui en ont été les victimes.
L’éducation et l’enseignement en général attendent donc vainement leur révolution. Celle qui fera de l’école un lieu de plaisir et non de contrainte et de sélection, celle qui verra les professeurs avoir pour principal objectif de donner le goût d’apprendre surtout aux élèves qui y sont le moins disposés, celle qui amènera à cette institution les moyens de remettre et de maintenir à niveau les élèves en difficulté, de les accompagner en leur accordant toute attention plutôt que de s’en détourner en les laissant stupidement redoubler ou abandonner leurs études.
2 mars 2009
toujours la sensation ténue et vague en entrant dans ce pays d’un retour à des racines profondes et insondables des croisements pléthoriques de bandeaux d’autoroute aux directions mal indiquées pour se trouver subitement à l’arrêt complet pendant plus d’une heure avec deux files de voitures à perte de vue soigneusement rangées sur les cotés pour livrer passage aux dépanneuses et ambulances avec des gens qui vont et viennent des jeunes filles surtout qui gambadent sur ce grand boulevard de bitume interdit de piétons d’habitude pour se donner patience malgré l’erreur d’orientation et les dizaines de kilomètres qu’il faudra faire en plus et un demi-tour ou deux... encore à l’approche de la capitale - un lent apprivoisement et à la tombée de la nuit enfin par une route secondaire inattendue pénétrer dans la ville tentaculaire d’une fluidité étonnante – parce qu’elle fut longtemps corsetée ? Bertolt dînera à la table voisine de la nôtre en début de soirée dans son restaurant préféré au sous-sol de la maison qu’il habitât et qui est conservé à l’identique sinon les quelques photos de famille ajoutées et les décors miniaturisés de ses pièces en caissons dont le premier attire l’attention avec sa scène carrelée son lit à baldaquin sa table son siège à haut dossier et la mappemonde que faisait tourner Galileo Galilei mais il se fait tard et je tiens encore à voir la célèbre porte ce soir et il n’y a pas de meilleur moment pour la découvrir que la nuit sous la pluie quand ses abords sont presque déserts et incitent à des pensées dubitatives devant les croix blanches en mémoire des téméraires qui défièrent ici leur destinée en franchissant le Mur alors qu’apparaît une tiare lumineuse coiffant l’austère bâtiment d’à côté symbole de l’unité du pays désormais et qu’une spirale blanche emmène encore au sommet à cette heure dans des jeux de miroirs sur une plate-forme panoramique depuis laquelle on peut voir scintiller dans l’obscurité les feux reliques des exaltations de cette ville ogresse située au carrefour d’ambitions démesurées et de modes de pensée tandis que s’accroît le sentiment d’être pris au piège de ces confrontations avec l’envie bientôt de leur échapper en redescendant à propos pour passer l’air de rien sous le drapeau à trois bandes claquant fièrement au vent
22 février 2009
Comment je vois le monde d’Albert Einstein dans la collection «Champs» des Editions Flammarion permet de découvrir la personnalité attachante d’Albert Einstein à travers ses articles, son courrier, ses conférences, etc. Un livre qui vaut déjà rien que pour la photo de couverture du célèbre scientifique au soir de sa vie. Elle en dit long sur le personnage. Un regard contemplatif, émerveillé encore devant la beauté du monde - du ciel sans doute. L’indice évident aussi d’une franche bonhomie mâtinée d’une pointe de malice. Un physique contrefait, une tête disproportionnée au buste qui la porte, des bras trop courts, des cheveux ébouriffés; une mise approximative, des vêtements hâtivement enfilés qui ne cherchent pas à mettre en valeur l’ego... Mais l’image global d’un homme serein, ayant accédé à la plénitude tout en s’amusant du bon tour qu’il est venu jouer sur cette Terre (révolutionner la science) malgré des circonstances d’existence peu favorable (deux guerres mondiales et une identité juive...)
Albert Einstein fut un grand physicien parce qu’il aura su rassembler, combiner, réinterpréter les recherches et théories de ses prédécesseurs (Newton, Lorentz, Poincaré, etc.) pour leur donner une forme éloquente. Sa plus grande qualité fut sans doute de penser «à côté», de ne pas s’être laissé enfermer dans des méthodes et dogmes établis, d’avoir gardé pour fil directeur la «beauté» des phénomènes qu’il pouvait observer et d’avoir donc eu l’intuition que ce qu’il cherchait se trouvait dans cette lignée.
Un scientifique à l’âme d’artiste, de philosophe, de poète ou l’inverse. Un écrivain et un orateur aussi qui avait le sens de la formule. Des aptitudes «subalternes» qui ne sont évidemment pas étrangères à sa célébrité qui confine aujourd’hui au mythe. Un humaniste engagé activement, antimilitariste et visionnaire qui condamna dès la première heure le National-Socialisme et osa désavouer plus tard publiquement le peuple allemand qui mit cette idéologie au pouvoir. Utopiste avoué, il encouragea très tôt la mise sur pied d’un gouvernement mondial ! (vers lequel on ne peut que se diriger).
Partisan de la création de l’État d’Israël car il l’estimait nécessaire pour la viabilité et l’épanouissement du peuple juif, il pressentit les dissensions qui se créeraient au contact du monde arabe au point de proposer dès avant sa fondation la mise en place d’organismes de conciliation. Il refusa avec lucidité la présidence de ce nouvel Etat.
2 février 2009
Petit scandale footballistique ce jour dans les pages sportives parce qu’un attaquant du grand club local a quitté le terrain en reprochant vertement à son coéquipier d’être trop «personnel». Ce dernier occupant le poste de centre-avant rechignait en effet à lui passer le ballon pour préférer tenter sa chance au goal tout seul même dans les positions les plus difficiles.
Il se trouve que quelques jours plutôt ce centre-avant avait été très déçu de n’obtenir qu’une sixième place au classement des meilleurs footballeurs de l’année (établi par les journalistes sportifs) alors que son collègue avait été classé deuxième. Le centre-avant avait déclaré aux journalistes après la cérémonie de la remise du «soulier d’or» que dorénavant il devrait peut-être penser un peu plus à lui…
Et on voudrait encore nous faire croire aux bienfaits éthiques et sociaux du sport…
On aime en effet à nous ressasser que le sport développerait l’esprit d’équipe, la maîtrise de soi, le respect de l’autre et de la règle imposée, qu’il aiderait à mieux se connaître et à mieux connaître les autres et à accepter leur différence…
On constate pourtant que ces qualités n’ont pas l’air de se développer même chez ceux qui le pratiquent intensivement tous les jours.
On peut difficilement croire à l’effet du sport sur la moralité et les bonnes mœurs si ce n’est dans la mesure où il «occupe» les jeunes qui traîneraient autrement dans la rue. Quant à favoriser les rapports sociaux, le sport ne paraît avoir que l’avantage de réunir des gens qui ne l’auraient peut-être pas été autrement autour d’un comptoir après sa pratique…
Il ne faut pas se leurrer sur les congratulations exaltées dans les sports d’équipe, elles ne sont que compulsives. Ce sport-là développe surtout la mauvaise part de notre individualisme, celle qui touche à l’égoïsme, qui recherche la reconnaissance et les honneurs en écrasant l’autre, qu’il fasse partie de son équipe ou pas.
Il se révèle surtout un conditionnement de l’esprit de clocher, de la confrontation, de la compétition sinon de la guerre… Il est heureusement pratiqué la plupart du temps par des gens raisonnables qui relativisent les enjeux et tempèrent les comportements vers lesquels ce sport les pousse grâce à des valeurs acquises ailleurs (la famille, l’école…)
Le sport devrait pourtant être pratiqué par tous, tout au long de la vie – et pas seulement jusqu’à trente-cinq ans ce que beaucoup de «professionnels» oublient - pour son effet bénéfique incontestable sur la santé et sur le psychisme. Il n’est malheureusement pas celui qu’on promeut car il est discret, gratuit, non exploitable donc non rentable… Il est celui qui nous met en compétition douce avec nous-mêmes, nous incite à nous dépasser, nous surpasser sans se servir de l’autre comme marchepied.
Ce sport «vrai» existe, même d’équipe, à condition qu’il soit pratiqué en toute connaissance de cause dans un esprit de divertissement amical. Il se mérite évidemment beaucoup plus puisqu’il n’agite pas la carotte des honneurs médiatiques, des trophées et des rétributions démesurées.
15 janvier 2009
Pas de surprise, Jacques Attali dans Une brève histoire de l’avenir (Livre de Poche n°30285) adopte le ton visionnaire, prophétique, omniscient et conséquent qu’on lui connaît en interview. Il butine d’abord dans l’histoire de l’humanité, de l’homme des cavernes à nos jours, et sur ses provisions l’envisage jusqu’au-delà de 2050 en recourant à un vocabulaire de science-fiction un peu exalté (hyperempire, hyperdémocratie, hypernomades transhumains...) conférant de facto à notre avenir une gravité étrange et menaçante.
L’économie de marché s’est développée selon l’auteur autour de neuf «coeurs» marchands successifs dont il s’attache à décrire les conditions qui permirent l’accession à cette position : Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, Londres, Boston, New York et Los Angeles. Critères généraux : un «coeur» doit être un port pour exporter les productions, bénéficier d’un vaste arrière-pays pour y développer l’agriculture, attirer une classe créative, maîtriser le capital, fixer les prix, tenir en main les salaires, déployer une armée, financer les explorateurs, etc.
Le livre est ponctué de leçons pour l’avenir : quand une superpuissance est attaquée par un rival c’est souvent un tiers qui l’emporte, le vainqueur fait sienne la culture du vaincu, une doctrine religieuse ne peut pas ralentir la marche de la liberté individuelle, aucun empire même s’il parait éternel ne peut durer à l’infini, l’État autoritaire crée le marché qui crée à son tour la démocratie, aucun régime autoritaire n’a jamais résisté durablement à l’abondance...
Sa vision de l’avenir :
- à court terme (2025-2035) ; aucun «coeur» ne prendra le relais de Los Angeles, le marché sera devenu assez puissant et les moyens de communication suffisamment développés pour que les créatifs n’aient plus besoin de vivre au même endroit, l’industrie nouvelle pourra s’installer partout, le marché et la démocratie se généraliseront pacifiquement (ce que Francis Fukuyama a appelé La fin de l’histoire).
- à long terme (au-delà de 2050) : émergence d’un marché sans démocratie déconstruisant les services publics, les États, les nations... suivie d’une série de guerres d’une extrême violence pour un retour ensuite à une hyperdémocratie planétaire.
On passerait donc par une victoire du marché sur l’État et la démocratie où chaque minute de la vie sera une occasion de produire et de consommer de la valeur marchande avec un grand développement de la surveillance afin d’exploiter financièrement nos moindres besoins et désirs mais aussi d’assurer la sécurité, la victoire militaire, la santé...
Des guerres naîtront de la prolifération des mafias, des pirates, des mouvements terroristes ; de la monopolisation des richesses par certains ; des exploitations et de la paupérisation de plus en plus grande ; de la disparition de toutes règles morales ; de la négation de l’ordre divin...
Une démocratie planétaire renaîtra des cendres de ces désolations dont le premier objectif sera de limiter les pouvoirs du marché avec une ascension des valeurs altruistes et de l’intérêt... pour l’intérêt général, l’apparition de l’économie relationnelle qui consistera à traiter les problèmes que le marché ne pourra résoudre (et dans laquelle le profit n’est qu’une contrainte et non une finalité), la domination d’une nouvelle attitude à l’égard du travail devenu un plaisir...
Un livre qui nous annonce donc un avenir plutôt sombre comme le laisse de suite pressentir le ton général mais avec une issue assez hollywoodienne (en happy-end). On aurait peut-être pu s’attendre à mieux comme prospectives de la part de Jacques Attali qui n’apporte aucune vision inédite et qui semble surtout s’être inspiré d’auteurs d’anticipation tels que Huxley et Orwell.
Un travail qui vaut tout de même par sa récapitulation, ses chiffres, ses comparaisons, ses énumérations... bref sa richesse d’informations (ses documentalistes se sont surpassés !) traitées par un « metteur en forme » d’expérience (quarante-cinq livres à son actif !).
PS : on sent que l’auteur s’est fait violence pour ne pas utiliser le terme hypermarché trop métaphorique…
9 janvier 2009
Les Hommes les plus puissants ont donc choisi de ne pas mettre de limites à leur rêve d’opulence en instaurant la rentabilité comme seul mobile de leur existence et par corollaire de celle des autres. Une rentabilité qu’ils exigent sans cesse croissante et qui dès lors implique un cortège de contraintes, de pressions, de remises en questions, de soumissions, d’angoisses…
Une rentabilité concrète dont certains n’arrivent pas mêmes à se contenter puisque, grâce au judicieux système financier mis en place, ils vont jusqu’à l’anticiper pour s’autoriser à jouir tout de suite de leurs paris sur l’avenir. D’autres encore vont plus loin en feignant seulement de parier… sachant pertinemment qu’ils regarderont de loin la banqueroute.
Les mécomptes seront une nouvelle occasion de vouloir renforcer la vraie rentabilité et les exigences qui l’accompagnent en laissant croire qu’elle est perfectible à l’infini en dopant le management, en recourant au coaching, en exploitant davantage les ressources humaines, et en restructurant...
Méthodes révélatrices de la conviction à peine fardée, dans le chef de ceux qui font travailler, que ceux qui travaillent sont fainéants, incompétents et plein de mauvaise volonté. Alors qu’on sait que, sauf cas pathologiques, la fainéantise n’existe pas et que les compétences s’acquièrent aussi vite que la bonne volonté quand le coeur y est.
Il existe, en effet, surtout des gens non motivés devant des tâches rébarbatives, ennuyeuses, sans intérêts et que c’est dès lors sur celles-ci que devraient se concentrer les efforts afin de les rendre plus attrayantes.
Les moyens mis à disposition pour les réaliser ainsi que la manière de les aborder en exploitant toute la variété possible devraient apprivoiser presque toutes les tâches car l’Homme est d’évidence conçu pour construire. Le problème de la rentabilité (si on veut vraiment le considérer) ne réside donc pas entre l’Homme et sa tâche mais entre l’Homme qui l’accomplit et celui qui l’oblige sans vergogne et sans prévoyance pour son meilleur profit.
5 janvier 2009
Si, en ce début d’année, un seul vœu pouvait être exaucé à l’échelle de l’humanité, on devrait espérer que ce soit celui d’insuffler en chaque être humain le désir inébranlable de toujours vivre en paix, d’accorder à cette aspiration la priorité absolue et de ne laisser jamais rien – idéaux religieux, politiques, économiques, matériels - ni personne - politiciens, chefs religieux et militaires, médias – contrarier cette ambition.
Mais le vœu serait sans doute trop cher car il s’assimilerait à apporter d’un seul coup dans tous les esprits la civilisation, la raison et la sagesse, seules susceptibles d’éradiquer de ce monde la barbarie, la bêtise et les pulsions les plus viles si contagieuses.
Ce seul exaucement nous épargnerait des images de guerre indignes de l’être humain.
PS : la paix s’entend sur le plan physique et psychique. Une paix obligée, vécue sous le joug d’un pouvoir quel qu’il soit n’en étant pas une. Mais ce joug comme de bien entendu ne pourrait subsister si le voeu était exaucé.