Nous hésitons à nous rendre à Gand ce lundi soir, dernière opportunité de voir Lineart avant sa fermeture (demain à 19 heures) car notre fille passe un examen de mathématiques demain, mais comme elle aime les maths et que nous ne pouvons rien faire pour elle… Nous décidons de partir mais en ayant tout de même convoqué son grand-père pour lui tenir compagnie pendant la soirée. Nous garons la voiture à 19 heures 45 dans le parking de Flanders Expo qui est occupé au quart de sa capacité. Il nous reste donc plus de deux heures pour parcourir la foire (qui ferme ce jour à 22 heures) et aller saluer Michel Hanon, le galeriste de la région hutoise avec qui j’ai travaillé dans le passé et qui nous a envoyé des entrées gratuites. Les entrées coûtent normalement 8 € mais il est assez facile de se procurer des réductions de 50%, on peut même en trouver sur le comptoir des guichets...
Lineart a été fondée en 1981, elle fut la première grande foire d’art en Belgique ; elle réunit environ 160 galeries et plus de mille artistes sur une superficie de 20.000 m². Elle est visitée chaque année par environ 30.000 personnes. Cette foire vise un public très large puisqu’on y trouve de l’art du 19ème, 20ème, et 21ème siècle. Depuis quelques années, elle est rejointe et dépassée en réputation, en superficie et en fréquentation par ArtBrussels (plus ancienne mais longtemps très confidentielle) qui a une orientation plus spécifiquement contemporaine.
J’ai visité Lineart pour la première fois en 1988, j’étais alors en troisième année à l’Académie des Beaux-Arts et je me souviens qu’une participation en tant qu’artiste à cette manifestation représentait à l’époque naïvement pour moi sinon un aboutissement, du moins un but à poursuivre. J’ai depuis lors participé deux fois à cette foire et j’ai évidemment été amené à revoir cette vision idyllique d’un événement dont la finalité n’est que commerciale (une foire d’art n’est qu’un grand marché même si l’atmosphère feutrée et fastueuse tend à le faire oublier).
La présence d’un artiste à cette foire ne signifie évidemment pas qu’il est parvenu au sommet de son art (y arrive-t-on jamais…) ni que ses qualités sont reconnues. Elle peut tout au plus être l’indice d’une certaine valeur commerciale (et donc d’une certaine renommée) à condition que l’artiste y participe sans frais de sa part, preuve que le marchand a entière confiance en son produit de vente ou qu’il veut y croire. Les conditions de présentation du travail de l’artiste dans les foires ne sont pas favorables puisque l’espace qui est attribué à chacun est mesuré (au mètre courant). L’artiste manque d’espace pour « installer son univers » et de plus il se trouve confronté à plusieurs milliers d’autres œuvres (environ 3000). Même si la foire peut compter sur 30.000 visiteurs, ceux-ci subissent un phénomène d’empressement à tout voir, de fatigue et de banalisation qui ne permet pas une juste appréciation des œuvres d’un artiste qui leur est inconnu.
Les seuls bénéficiaires assurés des foires sont les organisateurs qui engrangent la location des stands aux galeries (au m²), la recette des entrées, des places de parking (3€), des ventes de catalogues… et le secteur Horeca du complexe et de la région. Les galeries de renom qui présentent des valeurs sûres (donc très chères) et qui peuvent compter sur un carnet d’adresse de clients collectionneurs prennent peu de risques financiers. Par contre les galeries moins prestigieuses qui n’ont pas cette clientèle sont amenées à sous-louer leurs espaces aux artistes qui sont donc les seuls à assumer les risques d’une non vente. Ces galeries sous-louent leurs cimaises à 200 € du mètre courant environ. En cas de vente l’artiste touche 50 % du prix de vente de chaque œuvre vendue, somme à laquelle on ajoute la somme qu’il a avancée (afin qu’il se rembourse), quand cette somme est atteinte il cède 50 % des bénéfices supplémentaires à la galerie qui le présente. Inutile de dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle quand on ne pratique pas des prix très élevés. A cela s’ajoute la duplicité de certaines galeries qui forcent les prix du mètre qu’elles sous-louent et s’arrangent pour que le nombre de m² au sol qu’elles louent soit inférieur au nombre de mètres courants et de m² qu’elles sous-louent (aux peintres et aux sculpteurs). Elles font dans ce cas un bénéfice sur le dos des artistes dès avant toute transaction commerciale. Les foires d’art ressemblent donc davantage à des traquenards qu’à des manifestions promotionnelles ou de prestige bénéfiques à la renommée des artistes.
L’ambiance est morose ce soir au Flanders Expo, les allées sont silencieuses et presque désertes, l’éclairage général du hall est tamisé. Nous avons tôt fait de constater que l’ambiance générale est en adéquation avec le chiffre d’affaire de cette 22ème édition. En effet le nombre de points rouges (qui signalent les œuvres vendues) sont très rares ! (Deux galeries sur trois n’ont rien vendu). On sent les galeristes sur le qui-vive, à l’affût de l’acheteur potentiel. Une nouvelle crise du marché de l’art s’amorcerait-elle ? Je n’en ai pourtant vu aucun signe à Paris ou à Cologne. Le phénomène semble plutôt lié à la Flandre qui est en récession depuis quelques années.
Je remarque les valeurs sûres habituelles du marché belge (Permeke, Ensor…) dans les galeries de prestige les mieux placées (devant l’entrée), Panamerenko est omniprésent, les maquettes de ses pseudo-machines volantes construites à la chaîne par des gens qu’il emploie (la pièce que je remarque est la 13ème sur 15 exemplaires réalisés) sont présentées dans plusieurs galeries, Christine Comyn est présente depuis 1987 à Lineart et prend toujours beaucoup de place, elle peint la femme sous tous les angles possibles (et il y en a beaucoup) dans une facture et des harmonies de couleurs très agréables à l’œil (pas de points rouges pourtant cette année, il est vrai que ses peintures deviennent très chères…) Je remarque que les peintres très réalistes rencontrent un certain succès (en comparaison des autres), une part importante du public flamand est restée très conservatrice, mais ses goûts le portent parfois un peu trop vers le maniérisme.
La galerie de Michel Hanon n’échappe pas au fiasco commercial mais il garde le moral et nous offre un verre de vin. Il nous avoue que les affaires sont moins bonnes cette année mais que toutes les galeries sont concernées (presque toutes…). Comme à son habitude il nous exprime son ressentiment à l’égard de certains artistes ou institutions (la Province notamment) qui l’ont déçu. Il est par contre dithyrambique vis-à-vis d’autres artistes tels Jacques Charlier (qui a accepté de lui prêter quelques toiles) ou Fourneau qui selon lui est le plus grand peintre liégeois qu’il aimerait semble-t-il (re)présenter (il a travaillé avec lui dans le passé avant qu’Uhoda ne s’en occupe). Il nous annonce son ambition de participer à court terme à la FIAC et à la foire de Bâle (avec eux ?) mais nous attendons de voir... Selon lui c’est dans les foires que tout se passe car il n’y a que quelques visiteurs par jour dans une galerie tandis qu’il en vient près de 30.000 ici en quelques jours… nous ne sommes pas entièrement convaincus (pour les raisons précitées).
On quitte la foire un peu las, la pléthore d’œuvres à voir (en peu de temps, il est vrai) a émoussé notre intérêt. L’aspect mercantile de l’art s’est laissé un peu trop ressentir ce soir, les galeristes nous sont apparus comme des démarcheurs et leurs stands manqués de ligne de conduite (comme s’ils ne savaient plus quoi présenter pour attirer l’acheteur).
De l’extérieur peu d’indices laissent supposer que c’est l’architecte Victor Horta (la pape de l’art nouveau en Belgique) qui a conçu le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles dans les années 1920. Le bâtiment s’inscrit de façon banale dans le tissu urbain, et l’art nouveau ne fait ici qu’affleurer ; on peut néanmoins le déceler aux baies de fenêtre, aux portes d’entrée incurvées (rue Ravenstein) et au plan circulaire du hall. On est surpris par l’ampleur des espaces intérieurs car le bâtiment est semi-enterré, « enchâssé » dans le Mont-des-arts ce qui d’ailleurs permettait difficilement au concepteur d’en faire un édifice remarqué. Le péristyle central, foyer et centre de distribution des différentes attributions du bâtiment, est monumental et d’inspiration classique. On y trouve le guichet d’entrée ; le ticket coûte 10 € audioguide compris (réduit à 8 € avec la carte Delhaize – il faut souligner et louanger la politique de mécénat culturel de cette chaîne de magasins d’alimentation).
C’est Umberto Ecco (philosophe, sémiologue, et écrivain) qui aurait eu l’idée de réaliser une exposition d’envergure autour d’un seul tableau en l’occurrence La Vénus d’Urbino peinte par Titien en 1538 et considérée comme un des plus beaux nus de toute l’histoire de la peinture. Elle a été prêtée exceptionnellement par le musée des Offices de Florence.
Eco nous fait un petit discours de présentation où il nous dit que le musée traditionnel n’offre pas de contexte aux œuvres, qu’elles sont pléthoriques et que le public peut difficilement les percevoir, les mémoriser, et les apprécier réellement. Le but de l’exposition est donc de présenter le contexte historique de l’œuvre, l’histoire de sa thématique, l’étude de ses détails et de sa symbolique, enfin de montrer son influence dans l’histoire de l’art.
L’œuvre « phare » est mise en exergue à l’entrée de l’exposition sur le palier du grand escalier d’apparat, un garde veille debout à côté d’elle et repousse les curieux qui veulent s’approcher trop près. La Vénus est étendue nue sur toute la longueur du tableau et fixe le spectateur avec une expression de lascivité retenue, mais l’audace du peintre a ses limites puisqu’il ramène la main gauche du modèle sur le sexe pour le cacher. Le carnation est lumineuse, accentuée par le contraste du fond sombre d’une tenture tirée jusqu’à mi-corps. Le corps relativement mince est délicatement ombré dans ses contours ce qui lui donne un volume sensuel, il est souligné par un drap de lit blanc sur lequel repose à l’extrême droite un petit chien (elle a d’ailleurs parfois été intitulée La Vénus au petit chien). Dans la partie droite de l’arrière-plan deux servantes fouillent un coffre à vêtements au fond d’une pièce carrelée. Une fenêtre s’ouvrant sur un ciel crépusculaire donne de la profondeur à la composition ainsi qu’une échappée à l’œil. Un vase de myrte, symbole de lien éternel, est posé sur l’appui de fenêtre.
Bien que La Vénus d’Urbino ne soit pas la première du genre (voir Giorgone), elle est considérée comme l’emblème de la révolution des mœurs de l’époque et de la naissance de l’érotisme. La nudité du corps de la femme assurera le succès du genre au-delà de la justification philosophique qu’on lui donne : le néoplatonisme ambiant qui fait du nu féminin la métaphore de l’idéal absolu.
L’audioguide nous invite à nous diriger vers la droite et nous nous retrouvons dans une salle présentant des œuvres contemporaines auxquelles les commentaires de l’audioguide ne correspondent pas. Nous sommes en fait dans la dernière salle du circuit de l’exposition ! (Il fallait se diriger vers la droite mais en tournant le dos à la vénus !)
La première salle présente une étonnante vue plongeante de Venise de Jacopo di Barbari datant de 1500. Titien y fréquentait des ateliers et des protecteurs.
Une reproduction de la Vénus endormie de Giorgone peinte en 1510 et achevée par le Titien lui-même invite à la comparaison. Mais une reproduction de La Vénus d’Urbino placée à côté aurait été utile même si l’originale se trouve dans la pièce précédente.
On se trouve ensuite plongé dans les cénacles de l’époque avec des ouvrages et des portraits de savants et philosophes que le Titien a pu fréquenter.
J’examine la couverture du De humani corporis fabrica d’André Vésale (médecin flamand contemporain du Titien considéré comme le père de l’anatomie moderne) lorsque je reconnais à côté de moi Eric-Emmanuel Schmitt, auteur dramatique et romancier parisien à succès. Je viens de lire plusieurs de ses pièces (La nuit de Valognes, Le visiteur…) et son premier roman (La secte des égoïstes). Il est à Bruxelles pour la représentation d’une de ses pièces qui a lieu le soir même à Ixelles. Il est accompagné d’un jeune homme avec lequel il semble avoir beaucoup de complicité. On peut donc s’attendre à le voir publier bientôt une pièce ou un roman ayant le Titien pour protagoniste puisqu’il construit la plupart de ses œuvres autour de certains épisodes de la vie de personnages illustres (Don Juan, Freud, Jésus-Christ...)
Dans une section de l’exposition qui propose une approche de l’érotisme au temps du Titien, je m’arrête devant une Vénus réalisée par un de ses confrères lorsque je crois être victime d’une illusion… Deux messieurs sortant de nulle part et portant des gants blancs s’interposent entre la Vénus et moi, décrochent l’œuvre solennellement et disparaissent avec elle derrière les cloisons…
La salle suivante présente des récipients de différents pigments rouges. Le sentiment de luxe que cette couleur susciterait serait le prétexte de son choix... L’analyse de la carnation m’aurait paru plus judicieuse puisque le corps de la Vénus est le sujet du tableau. L’importation de ces pigments d’Orient offre l’occasion de présenter l’Atlas d’Abraham Ortelius, considéré comme le père de la cartographie (il publia en 1570 son Theatrum Orbis Terrarum, composé de 70 cartes).
Eric-Emmanuel Schmitt et son compagnon sont badins, ils esquissent fugitivement un petit pas de danse sur la musique d’époque diffusée dans la salle qui présente des robes du 16ème siècle et un coffre comparable à ceux que l’on peut voir dans la peinture.
Les nœuds dans la draperie que l’on distingue à peine dans l’œuvre analysée donne motif au développement du thème du nœud avec des dessins de Escher et d’Albrecht Dürer. J’apprends que dans un nœud borroméen chaque couple d’anneaux n’est pas entrelacé, seuls les 3 anneaux forment une entité inséparable. Le psychanalyste Jacques Lacan en a fait un symbole d’indissociable unité en même temps que de parfaite distinction entre les registres du Réel, du Symbolique et de l’Imaginaire (chacun des trois est indispensable à l’union des deux autres).
La dernière partie présente les multiples façons de dévoiler le corps de la femme de la période étrusque à Paolini (l’artiste contemporain) avec des pièces originales de Goya, Jordaens, Manet, Delvaux, Modigliani, De Chirico…
Une exposition très (trop ?) riche qui pèche par l’abondance des « illustrations » de l’œuvre en exergue, par les inductions et les développements hors sujet (les étrusques, les nœuds borroméens, etc.). Ce principe d’exposition laisse une grande liberté à ses concepteurs, il permet de trouver des rapports à l’œuvre autant qu’ils leur siéent. En proposant un contexte illustré par une prolifération d’autres œuvres Umberto Eco ramène le spectateur dans le travers qu’il dénonce : une pléthore d’œuvres à voir, à comprendre, à apprécier et à mémoriser. Il produit même un effet boule neige car une œuvre peu en appeler une autre et ainsi à l’infini. Il y a donc un effet pervers dans la démarche.
On sort de l’exposition enrichi du climat culturel de l’époque et des manières de peindre la femme nue à travers l’histoire de l’art mais en n’ayant pas levé le voile sur les mystères de l’œuvre elle-même. De nombreuses questions restent sans réponses (Qui est la jeune femme ? S’il s’agit de la femme du duc d’Urbino, pourquoi a-t-elle accepté de poser nue, dans quelle intention ? Dans quel bâtiment a-t-elle été représentée ? Quelle est la signification symbolique du petit chien ? Que font exactement les servantes ? Etc.)
C’est un réel plaisir de venir à Bruxelles le dimanche. Nous mettons moins d’une heure entre notre domicile et une place de stationnement juste derrière le chevet du cœur (romano-ogival) de la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule. Je me souviens que cette église a sans doute contribué par livre interposé à me donner le goût de l’architecture. En effet vers l’âge de 15 ou 16 ans j’ai hérité (je ne sais plus dans quelles circonstances… peut-être l’avais-je chipé à mon père ?) d’un vieux traité d’architecture dans une application aux monuments de Bruxelles par G. des Marez (Dessins de Rosenberg), édité par le Touring Club de Belgique en 1921. Sainte-Gudule y était reprise comme modèle du style gothique. Je ne connaissais pas du tout Bruxelles à cette époque, encore moins cette église qui y était décrite et décortiquée dans les moindres détails. Je me souviens pourtant avoir lu, relu ce livre et analysé ses dessins sporadiquement des années durant (les livres chez moi étaient rares...).
Même si nous ne l’avions pas prévu et que nous l’ayons déjà visitée plusieurs fois, nous nous dirigeons presque naturellement vers la façade ouest et le porche de droite pour une nouvelle brève visite.
Des photos de grand format de la famille royale accueillent le visiteur ; en effet, tous les événements (mariages, baptêmes, funérailles) la concernant sont célébrés ici. La nef centrale est très large, sa conception ne donne donc pas la priorité à la verticalité et à « l’élan mystique ». La clarté intérieure de l’édifice frappe d’emblée (surtout par rapport à Notre-Dame de Paris et la cathédrale de Reims que j’ai visitées récemment), l’intérieur a été sablé et restauré (royauté oblige) redonnant à la pierre sa clarté primitive. L’éclairage artificiel semble un peu plus soutenu qu’à l’accoutumée on a dû ajouter des projecteurs car on prépare un concert qui va être enregistré par la RTBF, des techniciens s’affairent, tirent des câbles… Un d’entre eux met du matériel en place dans la galerie du triforium. L’atmosphère méditative et spirituelle s’en trouve affectée. L’organiste répète aux grandes orgues ce qu’il va proposer au public tout à l’heure. Malgré les circonstances défavorables on ressent le pouvoir transcendant de ces sonorités dans un tel lieu. Ces grandes orgues sont particulièrement impressionnantes du fait de leur emplacement. Elles s’accrochent telles une nodosité à la paroi nord de la grande nef près de la croisée du transept. L’étonnante luminosité des vitraux accentue la netteté du sertissage, essence même de cet art qui structure les représentations.
Cette cathédrale a été édifiée sur plusieurs siècles ce qui permet d’y trouver les trois périodes du style gothique : le style primaire ou lancéolé (chœur), le style rayonnant (nef latérale droite), et le style flamboyant (nef centrale et chapelle du Saint Sacrement). S’y ajoutent le style romano-ogival (dans le chevet du chœur) et le style renaissance (dans la chapelle de l’axe du chœur). Elle justifie donc pleinement son rôle d’archétype du traité d’architecture dont j’ai parlé mais il ne faut pas perdre de vue que les styles et les techniques de réalisation ne sont pas une fin en soi, qu’ils sont justes des moyens de donner un lieu approprié à une fonction, de transmettre un sentiment, de créer une atmosphère susceptible de porter les fidèles vers la spiritualité et la foi. Les traités d’architecture omettent souvent d’insister sur la finalité des constructions, sur les rapports de l’architecture à ce qui l’a motivée. Beaucoup sont des ouvrages purement techniques.
En sortant sur le parvis je me pose la question de savoir ce qui m’amène si souvent à pénétrer dans les églises, je trouve plusieurs réponses : leur monumentalité et leur position symbolique dans la ville, la spiritualité qu’elles incarnent, l’élan et l’atmosphère mystique qu’elles cherchent à insuffler, le refuge ou l’échappatoire qu’elles offrent à l’égard du quotidien et du monde matérialiste, la Beauté de l’architecture et des œuvres d’art qu’on y trouve dans leur rapport avec la finalité du lieu, la technique et les moyens utilisés pour y parvenir, l’historique et les circonstances de leur réalisation.
Les responsables religieux devraient veiller à ne pas détourner le mobile de ces édifices (vecteur de leur Beauté) en y présentant des expositions profanes (photos de la famille royale) et en y donnant des concerts (même s’ils mettent les grandes orgues en valeurs) qui plongent le visiteur inopiné dans une ambiance de coulisses de salle de spectacle.
On fait la file sur le trottoir devant le 61 rue de Grenelle ce dimanche matin, l’entrée se fait par une maison étroite dont on s’étonne qu’elle puisse abriter une exposition d’envergure. Mais en réalité le musée se cache derrière le mur de façade imposant qui la jouxte. Cette façade d’un néo-classicisme monumental et pompeux s’incurve pour mettre en valeur en son centre « La fontaine des Quatre Saisons » de Bouchardon.
Le visiteur est accueilli dans la première pièce par des sculptures d’Aristide Maillol (La montagne, L’air, La rivière, etc.) qui a pris pour modèle Dina Vierny (sa compagne, fondatrice du musée elle-même), sujet principal de son œuvre. On remarque aussitôt que les canons de beauté du corps féminin du début du 20ème siècle ne sont plus les mêmes que ceux d’aujourd’hui.
La salle principale des expositions temporaires est une immense cave voûtée blanche abondamment éclairée, les plus grands formats de Basquiat y sont exposés.
La manière est celle du graffiti, sa biographie indique d’ailleurs qu’il taguait les murs de Brooklynn et de Soho. Mais contrairement à ce que la légende voudrait faire croire, Basquiat n’a rien du voyou ou du vagabond des rues, il est issu d’une famille bourgeoise et a reçu une éducation catholique stricte avec de fréquentes visites aux grands musées new-yorkais.
L’impression générale est celle d’une grande liberté d’expression, l’artiste d’évidence n’est pas inhibé ou fait en sorte de ne pas l’être quand il peint, il se donne entièrement, se laisse aller à son inspiration du moment sans retenue.
Les supports sont à l’avenant de cette décontraction : toiles fixées sur des châssis sommaires apparents aux angles (châssis en croix), planches de bois assemblées, panneaux ou porte de récupération, etc.
Son dessin est brut et naïf, ses toiles parsemées d’annotations et de collages. Il travaille à l’acrylique, au crayon gras, au marqueur, à la bombe de couleur. Ses œuvres donnent l’impression d’être codifiées et de proposer des rébus mais elles m’apparaissent plutôt comme des fourre-tout d’idées, d’appellations et de figurations en rapport avec le sujet traité. Les inscriptions, noms propres ou techniques, expressions, néologismes, etc. en anglais ou en espagnol ne facilitent pas le déchiffrement. Mais on sait que l’aspect énigmatique d’une peinture contribue à son succès, il vaut donc mieux qu’on ne puisse pas la déchiffrer et que les interprétations fleurissent…
La composition et le rapport des couleurs sont faussement négligés. Il y a un souci esthétique. Certaines représentations (les têtes grimaçantes montrant les dents, les diables…) et certains symboles ou signes (la couronne, le sigle du copyright… ) sont récurrents. On y trouve globalement l’expression d’un mal-être et d’une rage, la préoccupation de dénoncer le racisme ou certaines injustices (à l’égard des noirs), d’aborder certains thèmes politiques ou géopolitique (Glasnot, Eye Africa…), de remettre ses hommages aux musiciens (Nat King Cole, Charlie Parker, Miles Davis...).
Le grand tryptique intitulé El Gran Espectaculo (History of Black People) organisé comme un tableau unique, développe le thème de l’esclavage du peuple noir dont l’histoire est reliée à l’Egypte ancienne. La traite des noirs avant de concerner l’Amérique, approvisionne en esclaves (venus d’Afrique centrale) le nord de l’Afrique dont l’Egypte, le Moyen Orient, l’Inde. Basquiat représente pêle-mêle des masques africains grimaçants annotés du nom d’une tribu africaine (Nuba), une tête de chien dénommée « A dog guarding the Pharon » (Anubis), une faucille (instrument de travail utilisé par les esclaves dans les plantations), l’œil égyptien, un long vaisseau sur lequel on peut lire « Amenophis », un personnage noir aux jambes coupées désigné du mot « slave » (esclave) encadré et biffé. Les noms de Memphis et de Thèbes sont mis en parallèle avec Tennesee (ville du sud américain tristement célèbre pour sa pratique de l’esclavage), etc.
Tous les tableaux sont loin de présenter autant de références historiques et culturelles, ils sont souvent plus impulsifs comme ces visages hurlant, écorchés vif, bariolés de couleurs et évoquant des peintures rituelles pour des cérémonies primitives.
Dans Mona Lisa Basquiat s’attaque au symbole de la peinture occidentale, le visage est raturé au crayon gras, l’indication « Federal Reserve Note » et les deux « 1 » de part et d’autre de la tête transforme le portrait en billet d’un dollar. Ce tableau serait une allusion satirique à la vanité de sa galeriste Mary Boone (à qui il a d’ailleurs dédié d’autres tableaux) et une critique de la spéculation autour de ses œuvres (Basquiat n’a jamais eu le moindre contrôle sur la commercialisation de son œuvre).
L’exposition se prolonge dans deux pièces adjacentes à la grande salle et dans plusieurs pièces à l’étage. Dans The Death of Michael Stewart Basquiat aborde le problème du racisme, il évoque avec une naïveté désarmante mais très explicite l’assassinat du bombeur noir Michael Stewart par des policiers blancs. Plus on avance dans l’œuvre plus elle se dépouille, se simplifie, se clarifie dans l’expression.
Heaven (Paradis) qui fait l’affiche de l’exposition est réalisé avec une porte de récupération sur laquelle l’artiste a cloué un boîtier et une plaquette où il a peint son autoportrait en ombres chinoises. L’œuvre se limite à deux couleurs (le blanc et le rouge) et à l’emploi d’une photocopie. Elle est un hommage à Charlie Parker, surnommé « Bird » oiseau dont on voit une tête synthétisée dont le cou est coupé d’un trait. « Heaven » est inscrit dans un losange en tête de l’œuvre. L’artiste semble vouloir conférer aux mots une force incantatoire comme s’il suffisait d’énoncer une chose pour qu’elle soit présente (peut-être une influence des procédés vaudous).
L’œuvre de Basquiat est étonnamment abondante pour un peintre décédé à l’âge de 28 ans (d’une overdose) mais sa manière de travailler spontanée et défoulée (sans nécessité de précision) lui permettait sans doute de réaliser plusieurs œuvres par jour si nécessaire. Cette haute production engendre forcément un effet de systématisation dans la manière de peindre. Malgré son succès l’artiste se lassait de son travail, il envisageait d’arrêter de peindre pour se consacrer entièrement à la musique et à l’écriture. C’est sans doute l’indice qu’il ressentait le caractère répétitif et fastidieux dans sa tâche qui répondait donc de plus en plus à une procédure installée.
Avant de quitter le musée nous parcourons la collection permanente des œuvres de Maillol, de Poliakoff et de Kandinsky qui supportent difficilement la proximité des œuvres explosives de leur hôte.
Je mange un sandwich place de la Concorde, assis sur la balustrade en pierre de taille du Jardin des Tuileries face à l’avenue des Champs-Elysées. L’obélisque me rappelle mon voyage en Egypte et l’entrée du temple de Louxor qui en a été amputé. Je le trouve « mal loti » comme toutes les pièces sorties de leur contexte c’est-à-dire des endroits pour lesquels elles ont été réalisées. L’obélisque de Louxor n’est ici qu’un pylône trop poli, trop léché, que l’environnement rend factice. Sa situation au centre du rond-point en fait presque un signal routier.
Par cette splendide journée d’automne ma compagne préfère se balader le long de la Seine plutôt que de se rendre à l’exposition Vuillard. On se sépare et décide de se retrouver sur le parvis de Notre-Dame.
Au coin de l’avenue W. Churchill les visiteurs de l’exposition sont semblent-ils invités à se diriger vers un «conteneur» surmonté d’un panneau indiquant «Réservations» ce qui sème un peu la confusion (pour ceux qui n’ont pas réservés). Après renseignement il s’agit de passer sous un portique de détecteur de métaux comme à l’aéroport. Je dois déposer sur le comptoir mon appareil photo numérique et mon GSM qui me sont rendus immédiatement.
L’ambiance est feutrée, tamisée, les tons des parois chauds et apaisants varient en fonction des périodes de l’artiste et les thèmes choisis par les organisateurs. La plupart des premières toiles sont de très petits formats.
Vuillard fait partie du groupe des Nabis (prophètes en hébreu), considéré comme l’avant-garde de la peinture française à la fin du 19ème siècle. Il était composé essentiellement de Maurice Denis, de Pierre Bonnard, Paul Sérusier, Paul Ranson. Leur rencontre s’est faite autour du célèbre Bois d’amour rebaptisé Talisman peint par Paul Sérusier à Pont-Aven sur le couvercle d’une boîte de cigare et qui devint le manifeste du synthétisme. Les formes y sont simplifiées jusqu’à la caricature, les ombres et les modelés proscrits, les zones de couleur cernées. Maurice Denis dira que ce paysage devient informe à force d’être synthétiquement formulé... C’est le signal d’une liberté nouvelle, d’un art ouvert à l’imagination, qui pouvait devenir une déformation subjective de la nature plutôt qu’une copie.
Vuillard dans sa première période (1890-1892) sera fortement influencé par le synthétisme, ainsi que par la pensée symbolique et les arts décoratifs chinois. Sa peinture intitulée Au lit (1891) est étonnement transgressive pour l’époque, elle jette les premiers ponts vers l’art contemporain. Il utilise une palette de couleurs réduite, des grands aplats unis et cernés de lignes qui parcourent la composition. On y sent la prééminence de la cérébralité. C’est sans doute son attrait pour la métaphysique, l’idéalisme, et le courant symbolique qui va l’amener à pratiquer une peinture plus « mentale » que ses confrères (La peinture de Bonnard qui paraît fort proche me semble plus sensuelle). Son synthétisme devient très personnel, il s’attache aux intérieurs dans lesquels les personnages se fondent, par similitudes de couleurs ou de motifs. Les tableaux sont avant tout des accords de masses colorées à la composition subtile, la troisième dimension y tend à disparaître ce qui les éloigne définitivement de la représentation naturaliste. Les couleurs sont le plus souvent éteintes mais en harmonie, une certaine pesanteur peut être ressentie mais elle est adaptée au propos.
Dans un texte de présentation introduisant chaque subdivision de l’exposition, je peux lire ces commentaires de Vuillard : «L’œuvre d’art doit être déchiffrée, être une énigme. Plus les éléments employés sont purs plus l’œuvre est pure, plus les peintres sont mystiques plus les couleurs sont vives, plus les peintres sont matérialistes plus les couleurs sont sombres. » La tonalité d’ensemble de son œuvre est plutôt sombre… Vuillard serait donc matérialiste ?
Au vu du caractère intimiste des premières œuvres (et de leurs formats) on peut s’étonner que Vuillard ait travaillé pour le théâtre. Il fut fortement impliqué dans l’aventure expérimentale du théâtre de L’Œuvre fondé par Lugné-Poe qui fut un grand réformateur de la scène (au même titre qu’Antoine, Stanislavski ou Meyerhold). Celui-ci prône un théâtre idéaliste délivré des contingences du réalisme et aspire à un théâtre mental fondé sur la suggestion, refusant la reconstitution exacte des lieux et des époques. Il est partisan de l’image scénique composée comme un tableau. Vuillard réalise décors et programmes pour des pièces de Maeterlinck, Ibsen, Strindberg, Beaubourg… des pièces mystérieuses au climat lourd et suffocant qui expriment la hantise de l’enfermement et de la solitude. Aucun décor n’a malheureusement survécu et la reconstitution grandeur nature clairement aléatoire n’apporte rien.
Les formats grandissent au fil de la progression chronologique de l’exposition, on peut sans doute y voir l’effet de son travail pour le théâtre, Le Grand Intérieur au six personnages (1897) est une imbrication de tapis, de meubles, de papier-peints, de tapisseries murales et de robes… L’espace y paraît discontinu, écartelé. L’effet de perspective déformée donne au spectateur l’impression d’entrer dans la composition et de se trouver sur le tapis.
Vuillard passe au statut de peintre décorateur, avec la réalisation de grands panneaux verticaux dans lesquels il représente des extérieurs (Les jardins publics, Les deux écoliers, Fillettes jouant, etc.) dont la manière continue d’inspirer une certaine intériorité. Les deux écoliers jouant sous les frondaisons du parc des Tuileries me frappe particulièrement car il présente un point de vue identique à celui que j’ai eu moins d’une heure auparavant alors que j’étais assis sur un banc dans ce parc (l’atmosphère n’a pas changé depuis plus d’un siècle). Ces tableaux sont destinés à tapisser des murs entiers d’appartement, « dessus de porte » compris. Ils ont un effet de cyclorama car il y a de l’un à l’autre des continuités de ciel, de terre, de végétation… On peut y voir diverses influences, celles de Puvis de Chavanne (et de ses « murailles »), du mouvement anglais Arts and Crafts de William Morris, de la tapisserie médiévale « aux mille fleurs », de la peinture du trecento, de l’art japonais… Toujours est-il que Vuillard en a fait un amalgame très personnel qui a acquis toute sa spécificité.
Le peintre ne sortait jamais sans son Kodak, il a pris de nombreuses photos de ses amis et ses proches et tout un secteur de l’exposition y est consacrer. Il semble d’ailleurs que la photographie ait influencé le travail des 20 dernières années. Il est désormais reconnu, membre de l’Institut et devient portraitiste mondain. Il peint sur commande des bourgeois dans leurs intérieurs probablement d’après photos et ses œuvres perdent toute originalité du fait de l’obligation de réalisme (et de ressemblance) à laquelle elles doivent répondre. On remarque que la peinture s’est craquelée au niveau des visages, indice d’une surcharge de matière et donc de beaucoup d’hésitations. Le peintre André Lhote dira que Vuillard était mal préparé à l’art du portrait et que le travail de cette époque est une offense à son œuvre précédente. Il apparaît effectivement rétrograde même si l’organisation de l’exposition y voit : « une galerie de caractères où le moraliste affleure sous l’acuité psychologique et sensible du peintre ».
La reconnaissance officielle - ses honneurs et son confort – a d’évidence amené l’artiste à banaliser son œuvre, à lui faire perdre son caractère novateur et sa profondeur. Mais peut-être n’avait-il pas le recul suffisant pour juger de l’importance de ce qu’il avait accompli jusque-là… preuve s’il en est que les grandes œuvres dépassent toujours leurs auteurs.
Un petit miracle se produit ce samedi après-midi, nous trouvons une place de stationnement (non payante, non limitée et autorisée !) à une centaine de mètres de l’entrée du parc des expositions. Mais avant d’entamer notre visite nous décidons d’aller déjeuner car notre balade matinale au Père Lachaise nous a mis en appétit. Nous entrons dans un snack de la rue Vaugirard et nous nous attablons à la première table à côté de la fenêtre. Nous sommes entrain de prendre la commande lorsque nous entendons crier du fond de la salle « Héla ! Les petits belges ! ». Je me retourne et j’aperçois Jean-Marie Lheureux, sculpteur de son état et ex-partenaire dans l’équipe d’artistes de la galerie de la Mostée, qui se dissimule partiellement derrière une colonne en gloussant. Il est accompagné d’un ami peintre avec qui il a fait le déplacement pour visiter la grande foire parisienne d’art contemporain ce jour.
La visite de la Fiac est devenue un rendez-vous habituel depuis une quinzaine d’années même si nous avons sauté plusieurs éditions. Notre première visite doit remonter à 1987 lorsqu’elle avait lieu dans le cadre superbe du Grand Palais. Cette foire a surtout l’avantage d’avoir lieu à Paris et de nous offrir un prétexte à de petits séjours dans une ville qu’on aime (particulièrement l’automne) pour son architecture, ses monuments, ses parcs, ses musées, ses quartiers animés, ses théâtres, ses librairies, ses grandes expositions…
On procède à la fouille des sacs à l’entrée et on se trouve obligé de se débarrasser d’une bouteille d’eau en plastique de 50 cl. Il y aurait eu un mini attentat à la bouteille de soda la veille provoquant deux blessés légers ce qui aurait entraîné une évacuation générale de la halle. Il y quatre caisses et peu d’attente. Le ticket d’entrée coûte 14 €… j’entends un couple demander s’il n’y pas de réduction pour les chômeurs... Ce n’est pas prévu et c’est regrettable... (Sans doute parce que la Fiac résulte d’initiatives exclusivement privées).
La visite de la Fiac permet de s’offrir en quelques heures un panorama de l’art contemporain bien que cette appellation lui soit contestée, certains la considèrent plutôt comme une foire d’art moderne saupoudrée d’art contemporain. On lui reproche de ne fonctionner que sur la commercialisation des espaces et d’en arriver à vendre du m² à n’importe qui (bien que la demande soit supérieure à l’offre). Les galeries sont donc amenées à éviter les pièces et les installations de grandes dimensions puisque l’espace est cher et compté (10.500 m² seulement pour 22.500 m² à Bâle par exemple), la vidéo est également limitée. La foire est donc orientée vers « l’objet d’art » (présentable dans un intérieur), au-delà des collectionneurs elle vise à exploiter les potentialités d’achat d’une certaine classe parisienne. 175 galeries y participent dont une moitié de françaises et un millier d’artistes sont représentés (soit environ 2500 œuvres).
Le parcours de la foire ne peut s’envisager que comme une promenade superficielle dans l’art actuel. Il est évidemment impossible d’entrer dans l’intimité de l’œuvre de chaque artiste même si certaines galeries présentent des one-man-shows. En général celles-ci ne présentent quand même pas plus de cinq à six œuvres du même artiste et de toute façon l’importance de la surface d’exposition nous pousse en permanence à presser le pas, à ne pas trop s’attarder. Les foires sont donc plutôt à considérer comme des « étalages » qui permettent aux visiteurs de repérer « instinctivement » les œuvres qui touchent leur sensibilité. Il ne tient dès lors qu’à eux de se renseigner plus en profondeur sur l’artiste et son œuvre par la suite.
On remarque d’une manière générale une tendance fâcheuse des artistes à chercher à étonner, à déconcerter à tout prix, à jouer de provocation où le sexe le plus souvent a la part belle (surtout en photographie). Le travail de ceux-là n’a pas beaucoup d’intérêt car on sent qu’ils cherchent avant tout à vendre en s’inscrivant dans un courant de mode dit branché ou « tendance ». Ainsi je remarque un néon clignotant vendu plusieurs fois dessinant en lettres cursives les mots suivants: « Salut salope ! ». Mais il s’agit là d’un exemple extrême dont le statut même d’œuvre d’art est usurpé.
Je remarque entre autre en peinture les œuvres de Rebeyrolle (pour leur spontanéité fulgurante qui accouche d’objets réels incorporés aux œuvres), Zao Wou-ki (pour leur raffinemenent et la poésie toute orientale qui s’en dégage), Julien Beneytton (pour leur réalisme haut en couleur et multiculturel), Philippe Cognée (pour leur lecture à deux niveaux malgré « l’artifice » un peu facile de la cire)… ; en photographie, Marie Bovo (pour ses paysages nocturnes) ; en sculpture, Fabien (machinerie complexe avec corps en mouvement et petit écran vidéo incorporé) ; en vidéo, Olga Kisseleva (pour l’interactivité de son film - le spectateur peut faire apparaître d’autres images en s’interposant entre l’écran et le projecteur).
L’espace vidéo-cube est standardisé : deux rangées de cinq « caissons » sont placés en vis-à-vis, un préposé est assigné à chaque caisson et régule les entrées, la durée des films est limitée à dix minutes et la démarche de l’artiste est expliquée. Malgré ce joli effort, la vidéo me semble décalée dans ce type de foire (pourquoi ne pas organiser une foire spécifique ?). Elle ne rencontre d’ailleurs pas un franc-succès, peu de personnes m’ont semblé regarder les films dans leur entièreté.
Une autre attraction de la Fiac et non des moindres (qui vaut à elle seule la visite) est d’observer l’habillement excentrique et le comportement infatué d’une partie de son public (qui est constitué de véritables oeuvres vivantes). Mais la palme du cabotinage revient sans conteste aux représentants ou « directeurs » de galeries. A les voir se pavaner gsm à l’oreille, tapoter palm ou ordinateur portable, ou discuter ostensiblement de leurs succursales de New-York ou de Sao Paulo, on leur donnerait au moins une importance ministérielle. Il y a assurément un beau sujet de thèse sociologique à développer du genre : « Origines de la fatuité chez les marchands d’art.»
Avant de sortir nous rencontrons Jean-Marie Lheureux (l’homme du snack) un homme simple, naturel (lui !) et entier qui nous donne son avis sur la foire. Pour lui on présente toujours les mêmes grosses pointures depuis des années (marché oblige), mais il a vu tout de même quelques petits choses intéressantes. Il fait remarquer qu’il n’a rien trouvé de comparable à ce qu’il fait (moi non plus) et que notre travail à tous les trois (lui, son copain et moi) vaut bien celui des artistes présentés. Dès lors on pourrait tout aussi bien y être ; on ne dénoterait pas. Il suffirait d’un concours de circonstances favorables, des relations bien placées (un directeur de galerie ! ou Jack Lang qu’on vient de croiser…). Il envisage d’ailleurs de faire le tour des galeries prochainement avec son « book »… Sans être introduit, je ne l’y encourage pas… Il repart motivé avec une réelle envie de travailler et c’est déjà bien...
Il est 21 heures et nous nous garons avenue de l’Observatoire, devant l’entrée de l’ENA. C’est une « nocturne » ce soir au musée du Luxembourg et d’après mes renseignements l’exposition est ouverte jusqu’à 22 heures 30. Nous devons contourner à pied le Jardin du Luxembourg qui est fermé à cette heure, nous longeons sa haute ferronnerie aux fers de lance dorés. Je m’étonne de l’ordonnance des plantations, de leur étiquetage systématique sur les tuteurs alignés et de l’impression d’extrême soin qui s’en dégage. Je m’aperçois que cette partie du parc qui longe la clôture est un enclos fermé au public (de l’intérieur aussi) qui ne peut donc s’admirer qu’à distance. La soirée est très douce pour la saison (près de 20°C !) nous croisons des habitants qui promènent leur chien, quelques joggeurs qui tournent autour du parc dont des jeunes filles seules… L’ambiance est sécurisante. Je lève la tête vers les immeubles qui font face au Jardin et je peux voir certains intérieurs éclairés par des lampadaires (que les propriétaires ne cherchent pas à dissimuler). Ils m’apparaissent chauds et luxueux, j’y vois des œuvres d’art, des bibliothèques dont une en acajou qui fait toute la longueur du salon, certains ressemblent à des ateliers d’artistes avec de hautes baies vitrées et de grandes hauteurs sous plafonds.
Nous nous présentons devant l’entrée du musée où on procède à une fouille succincte du sac de madame. Avantage de cet heure tardive, il n’y a pas de file d’attente et aucune personne devant nous à la caisse. Le préposé nous rassure quant à l’heure de fermeture nous aurons le temps de parcourir l’exposition à notre aise.
Sandro Botticelli (1445-1510) est un des grands maîtres de la Renaissance italienne très en faveur auprès des Médicis et de Laurent le Magnifique (son protecteur). Il fut un disciple (tardif) de Savonarole un prédicateur, devenu chef politique à Florence qui réforma les mœurs et rétablit une certaine austérité. Botticelli a été oublié pendant quatre ou cinq siècles pour être redécouvert à la fin du XIXème siècle seulement.
La première salle est oblongue avec des cloisons obliques présentant des ouvertures visuelles sur la suite de l’exposition. L’organisation des espaces semble soignée.
Les premières œuvres présentées sont des madones, elles constituent un des thèmes préférés des aristocrates et sont donc destinées à leurs intérieurs ce qui amène l’artiste à limiter leur format. Botticelli est considéré comme un peintre réfractaire car il s’obstine à peindre à la détrempe (pigments végétaux dont le liant est l’œuf et qui se dilue à l’eau) alors que la peinture à l’huile est en pleine expansion. Les madones ont la particularité d’être très expressives pour l’époque, elles exaltent le lien affectif entre la mère et l’enfant. On remarque la finesse et la précision du dessin notamment dans la subtile transparence des voiles. La maîtrise et l’affirmation du trait dans les contours expliquent sa réputation de « maître de la ligne ».
Il marque une certaine indifférence pour le clair-obscur, le modelé s’en trouve réduit et les surfaces valorisées - ce qui explique peut-être sa préférence pour la détrempe. La présence physique tend à s’effacer pour devenir ornementale, le réel est donc mis à distance par l’inclination au bidimensionnel. Il épure et « aplatit », ce qui l’amène à s’écarter de l’expression d’une réalité sensible au profit de celle de l’idée.
Une fresque transposée de l’église di san Salvatore in Ognissanti, représente Saint Augustin dans son cabinet de travail. Elle évoque toutes à la fois ses qualités d’évêque, d’homme de science et d’humaniste. Il apparaît perturber car il a la vision de la mort de Saint Jérôme, Botticelli a marqué l’heure à laquelle celle-ci est survenue sur une horloge à l’arrière-plan. (L’écriture manuscrite des livres ouverts dans son cabinet de travail racontent paraît-il, des anecdotes réelles qui ont eu lieu pendant que le peintre exécutait son tableau). Il faut remarquer que cette fresque était présentée dans l’église d’Ognissanti en vis-à-vis d’une autre fresque de Domenico Ghirlandaio représentant la vision de Saint Augustin : Saint Jérôme dans son cabinet de travail méditant sur la béatitude dont on ne peut faire l’expérience selon lui qu’à l’heure de la mort (une démarche conceptuelle avant la lettre).
Deux peintures de petits formats (31/24cm) ont une finesse de détail comparable au travail sur miniatures. Elles sont présentées comme des biens précieux, encastrées dans un panneau vitré de grande dimension. On conservait ces tableaux dans des coffrets ou des étuis en cuir et on ne les sortait qu’à l’occasion pour les admirer. Ils illustrent un épisode biblique, la décapitation de Holopherne par Judith.
Un passage au travers une cloison épaisse nous permet de « déboucher » dans la plus grande salle de l’exposition. Mon attention se porte sur le portrait de L’homme à la médaille de Cosme de’ Médicis qui tient dans ses mains une médaille frappée au profil de Cosme l’Ancien. Celle-ci est creusée dans le bois du support de la peinture et crée une profondeur palpable qui en accentue le réalisme. Le couvre-chef vermillon rehausse les contrastes de couleurs et assoit le visage.
Les épisodes de la vie de Virginie et La calomnie d’Appelles présentent des architectures et des statuaires très riches mais dont les perspectives (centrales) sont trop accentuées ce qui donne au spectateur l’illusion d’un décor factice, théâtral.
L’annonciation à Marie est une fresque qui se trouvait au-dessus de la porte de l’hôpital pour pestiférés San Martino della Scala. C’était probablement un ex-voto remerciant pour la fin de la peste qui sévissait à Florence depuis 1478. Les contours des personnages sont très (trop) marqués notamment au niveau des mains. Un rayonnement peint à l’origine en couleur or et partant de l’ange annonciateur vers Marie ne se devine plus qu’en filigrane. Il symbolise la transmission spirituelle mais en ayant perdu son caractère sacré...
L’espace se rétrécit et s’assombrit pour la préservation des dessins qui y sont présentés. On y trouve une illustration de la « Divine Comédie » de Dante, La carte de l’enfer prend la forme d’un entonnoir et est composée de dix fosses profondes où les escrocs font pénitence de leurs péchés mais il faudrait une loupe pour distinguer leurs attitudes.
Botticelli est mis en parallèle avec certains de ses contemporains. Je reste stupéfait devant un fusain sur papier bleu de Léonard de Vinci intitulé L’ange incarné daté de 1513-1515, son visage ressemble étrangement à celui de La Joconde et exhibe un sexe en érection ! Le mystère du sourire de La Joconde est à mon sens ici révélé. Et dire que La Joconde fut considérée comme un symbole de l’art établi…par les surréalistes notamment. Je ne m’explique toujours pas la présence de cet œuvre dans cette exposition d’autant que Botticelli est très prude et fervent catholique.
Je constate curieusement quelques maladresses dans certaines études d’éléments d’architecture en perspective notamment (des pieds de colonnes), de même l’artiste semble peu s’inquiéter des proportions du corps humain et de l’anatomie en générale.
Après 1480 son œuvre devient plus austère, les couleurs dominantes sont gris-bleu-vert. Cette mutation serait liée aux troubles religieux qui secouent Florence et en particulier à l’exécution de Savonarole.
La prière du Christ dans le jardin de Gethsémani présente une végétation très synthétisée dont le Douanier Rousseau a dû s’inspirer.
Il est 22 heures 25 et un gardien vient me trouver personnellement parmi un public pourtant encore nombreux pour m’avertir que l’on va fermer les portes dans cinq minutes, ceci pour le cas où j’aurais souhaité revoir un tableau… Je remarque encore avant de sortir une œuvre de petit format Saint Augustin écrivant dans sa cellule derrière une tenture maintenue écartée qui brise la perspective centrale, l’artiste a peint des papiers brouillons chiffonnés sur le sol devant sa table, preuve d’une certaine fantaisie qui n’est pas commune à cette époque.
Une petite surprise m’attend à la sortie on a acheté pour moi, juste avant la fermeture de la librairie, la reproduction de Saint-Augustin dans son cabinet de travail…
Il est des personnes vers qui la destinée semble vouloir vous porter...
Lorsque j’entre au Service Technique Provincial en 1989, mes nouveaux collègues apprenant que je fais de la peinture me parlent de suite de Jacques Charlier, cet ex-collègue qui a quitté le Service une dizaine d’années auparavant pour devenir professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Ils le disent très connu dans le courant de « l’avant-garde » en Belgique. Certains d’entre eux suivent encore son travail et vont à ses expositions. Ils m’apprennent notamment qu’une rétrospective de ses œuvres a eu lieu au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. J’avoue ne jamais en avoir entendu parler, mais il est vrai qu’à cette époque l’art contemporain belge est fort peu médiatisé. Je ne connais d’ailleurs l’art contemporain que par le biais des magazines d’art français (Beaux-Art et Artpress), quelques musées que j’ai pu visiter à l’étranger et la foire internationale d’art contemporain de Paris (la FIAC) à laquelle je me rends depuis quelques années. Mais mes lacunes au niveau belge ne tarderont pas à être comblées surtout en ce qui concerne Jacques Charlier puisque je ne cesserai plus d’en entendre parler, mes collègues y faisant référence à chaque fois que le sujet de la peinture est abordé.
Il paraît évident que l’honneur des grands musées, sa renommée, son accession à un poste de professeur à l’Académie des Beaux-Arts sont ressentis comme une réussite surprenante pour quelqu’un qui a travaillé vingt ans dans un domaine totalement étranger au monde de l’art. Cet artiste-prédécesseur sur mon lieu de travail représente donc spontanément pour mes collègues à mon égard un exemple à suivre.
L’évocation de ses « œuvres » est cependant le plus souvent cocasse et un brin narquoise. On me rapporte qu’il faisait collection des photos de chantiers (destinées à illustrer des rapports techniques) et de l’Amicale du personnel, qu’il récupérait les feuilles de présence (où tous les employés devaient signer) ainsi que certaines minutes de plans (le STP est un bureau d’études topographiques et routières), qu’il collectait épisodiquement les chiffons essuie-plumes tâchés d’encre aux tables à dessin, qu’il réalisait des interviews de ses collègues mécanographes (retranscrites mot à mot), qu’il correspondait avec les artistes du mouvement Fluxus (Georges Brecht, Filliou, Ben Vautier, etc. qui recevaient ainsi des nouvelles du Service Technique Provincial). Le tout était ensuite mis en forme et présenté dans des galeries pointues et dans les plus grands musées (Le musée de Gand a acquis l’essentiel de ces documents).
Ainsi mes collègues s’amusaient de voir leur univers quotidien exposé au musée et de s’y trouver eux-mêmes en photos, en particulier sur celle (publiée dans de grands magazines) où ils posent devant la porte d’entrée du STP avec en légende le simple texte suivant : « Les employés du Service Technique vous remettent leur bonjour »… Le but de l’artiste ne se limitait évidemment pas à amuser la galerie de ses collègues mais à soulever la question du rapport de l’art à la société et à remettre en cause sa sacralisation dans la lignée de Duchamp et de Broodthaers.
Jacques Charlier aura réussi à faire entrer son univers professionnel dans l’art ce qui lui permettra pour l’occasion de le quitter… On peut comprendre qu’après ce coup fumant certains collègues aient un peu de mal à considérer cet univers comme de l’art...
Je suis donc naturellement amené à me rendre aux vernissages de ses expositions et rétrospectives où je constate que les travaux autour du STP dont on m’a surtout parlé n’étaient qu’une entrée en matière en regard du travail produit par la suite. Sa vision critique de l’art et de la société, déjà perceptible dans les travaux précités, s’affirme et s’élargit tous azimuts avec humour et dérision : peintures-installations ironiques, pastiches d’œuvres modernes (cubistes, etc.) ou contemporaines (Buren, Toroni, Fontana, etc.), commentaires oraux, écrits (chansons, poèmes, prières, parodies d’interviews…), bandes dessinées, caricatures, performances (musique répétitive ou régressive), vidéos, appropriation du réel (objets, événements, personnages, etc.) et mises en scène... Le « présentateur » de documents et d’objets du STP est devenu un décathlonien de l’art, un pasticheur, un manieur d’idées variant techniques et moyens pour les exprimer.
Il dessine, peint, sculpte, (se) met en scène, photographie, filme, commente, présente, installe… avec bonheur et aisance mais toujours au service de l’idée, de la raison critique et de la démystification de l’art.
La réflexion l’emporte sur le sentiment, l’hémisphère gauche sur le droit… Le maître d’œuvre est avant tout un technicien de l’art qui s’attache à dénoncer les impostures de la transcendance. Si sa démarche nous désabuse des formes d’art les plus clairement usurpatrices, elle tend aussi - par extension - à nous désenchanter de l’art en général puisque celui-ci est ramené systématiquement dans le champ rationnel. La désillusion n’est pas limitée et il reste donc au spectateur à faire lui-même la part de l’art… s’il veut encore croire à sa magie et à son rêve.
Bien que nous ne soyons pas de la même génération, le hasard a voulu que le fils de Jacques Charlier et ma fille (qui ont quinze ans) se trouvent dans la même classe et qu’ils entretiennent des relations amicales. Le vernissage de l’exposition au NAK (Neuer Aachener Kunstverein) d’Aachen est une occasion supplémentaire pour nos enfants de se voir en-dehors de l’école, c’est ainsi que pour la première fois depuis des années les parents respectifs ont l’honneur de la présence de leur enfant dans une exposition.
Nous avons des difficultés à trouver le NAK (même en ayant l’adresse : 29, Passstrabe) situé au milieu d’un parc arboré et encore plus à garer la voiture. Nous arrivons en retard… et l’interview de l’artiste par une représentante du musée (assistée d’une traductrice) est largement entamée. Les enfants se rencontrent et disparaissent…
Jacques Charlier achève l’explication de la dernière des quatre grandes toiles (± 2,5m/3m) accrochées dans la salle. Elles resteront donc un mystère pour nous… Il semble qu’elles fassent la propagande ironique de l’art et de la poésie. La première qui attire mon regard représente un portrait hiératique d’Alphonse de Lamartine en marge duquel on peut lire en lettres capitales et en anglais « Rejoignez-nous, poète est un bon job ». Or Lamartine était un aristocrate qui fut député et ministre…
Une autre toile déclare en français « Gagner l’art c’est savoir perdre la guerre », on y voit un barda sur une chaise et un fusil remisé sur un porte-manteau.
Une troisième représente la sculpture d’un énorme lion au bord d’une route (je reconnais le lion du barrage de la Gileppe) assorti du texte suivant en anglais : « N’ayez pas peur il est encore temps de changer de route ».
Une quatrième présente le portrait d’une dame de la Renaissance italienne (que je ne reconnais pas) et affiche le texte suivant en italien : « Celui qui n’est pas prêt à mourir pour l’art n’est pas digne de l’enseigner ».
Je ressens ces tableaux comme des énigmes (sans solutions probables), suscitant l’équivoque par ses interprétations multiples. L’ambiguïté apparaît comme l’objet même de la démarche - comme dans la plupart des œuvres d’art contemporaines - au risque de laisser les spectateurs sur leur faim en l’absence d’explications.
L’artiste étend son discours à des considérations générales sur la Belgique qu’il présente comme un « no man’s land ». Sans doute veut-il faire allusion à son manque d’unité linguistique et culturelle mais le terme ne me semble dès lors pas très approprié à un des pays les plus denses au monde… Il précise que les meilleurs belges sont ceux de la communauté germanophone… peut-être parce qu’ils sont les seuls à revendiquer leur belgitude en raison de certains avantages… On aura compris que les allocutions de l’artiste font partie intégrante de son œuvre.
Je découvre dans le hall d’entrée un chevalet sur lequel est posé le portrait d’Arnold Schwarzenegger annoté de « Be aware » (être conscient). «Schwarzi» y apparaît comme un symbole de la conscience, on en mesure dès lors toute la portée ironique... Ce tableau fait partie d’une mise en scène photographiée pour l’affiche de l’exposition. On y voit une pin-up à la minijupe « remontée » et à la mine réjouie achevé le tableau. Une vidéo explique tous les préparatifs.
Dans la cage d’escalier, on trouve une sérigraphie de l’entarteur (face et profil numéroté comme un repris de justice), le portrait de Freud nous rassurant quant à la distance de la terre à Alpha du Centaure… L’étage fait un petit bilan de l’œuvre de l’artiste (caricatures, pastiches d’œuvres modernes et contemporaines, la série « Save the beach »…). La dernière salle présente l’installation Real Wall Painting (qui montre on ne peut plus clairement !) avec quelle facilité dérisoire on peut « fabriquer » des tableaux abstraits.
En revenant vers l’entrée nous croisons notre fille se faisant commenter les œuvres par le fils de l’artiste... Nos enfants auraient-ils trouvé «la route de l’art»?